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The Project Gutenberg eBook of Les Fleurs du Mal

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Title: Les Fleurs du Mal

Author: Charles Baudelaire

Release date: July 1, 2004 [eBook #6099]
Most recently updated: January 22, 2020

Language: French

Credits: Produced by Tonya Allen, Julie Barkley, Juliet Sutherland,
Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team.

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES FLEURS DU MAL ***





LES FLEURS DU MAL

par

CHARLES BAUDELAIRE

Préface par Henry FRICHET

[Ilustration]

PRÉFACE

Charles Baudelaire avait un ami, Auguste Poulet-Malassis, ancien élève de l'école des Chartes, qui s'était fait éditeur par gout pour les rafinements tipografiques et pour la litérature qu'il jugeait en érudit et en artiste beaucoup plus qu'en comerçant; aussi bien ne fit- il jamais fortune, mais ses livres devenus assez rares sont depuis longtemps très recherchés des bibliofiles.

Les poésies de Baudelaire disséminées un peu partout dans les petits journaus d'avant-garde come le Corsaire et jusque dans la grave Revue des Deus-Mondes, n'avaient point encore, en 1857, été réunies en volume. Poulet-Malassis, que le génie original de Baudelaire entousiasmait, s'ofrit de les publier sous le titre de Fleurs du Mal, titre neuf, audacieus, longtemps cherché et trouvé enfin non point par Baudelaire ni par l'éditeur, mais par Hippolyte Babou.

Les Fleurs du Mal se présentaient come un bouquet poétique composé de fleurs rares et vénéneuses d'un parfum encore ignoré. Ce fut un succès--succès d'ailleurs préparé par la Revue des Deus- Mondes qui, en acueillant un an auparavant quelques poésies de Baudelaire, avait mis sa responsabilité à couvert par une note singulièrement prudente. De nos jours une pareille note ressemblerait fort à une réclame déguisée:

« Ce qui nous parait ici mériter l'intérêt, disait-èle, c'est l'expression vive, curieuse, même dans sa violence, de quelques défaillances, de quelques douleurs morales, que, sans les partager ni les discuter, on doit tenir à conaitre come un des signes de notre temps. Il nous semble, d'ailleurs, qu'il est des cas où la publicité n'est pas seulement un encouragement, où èle peut avoir l'influence d'un conseil utile et apeler le vrai talent à se dégager, à se fortifier, en élargissant ses voies, en étendant son orizon. »

C'était se méprendre étrangement que de compter sur la publicité pour amener Baudelaire à résipiscence; le parquet impérial ne prit pas tant de ménagements. Le livre à peine paru, fut déféré aus tribunaus. Tandis que Baudelaire se hâtait de recueillir en brochure les articles justificatifs d'Edmond Thierry, Barbey d'Aurevilly, Charles Asselineau, etc..., il solicitait l'amitié de Sainte-Beuve et de Flaubert (tout récemment poursuivi pour avoir écrit Madame Bovary), des moyens de défense dont les minutes ont été conservées et dont il transmétait la teneur à son avocat, Me Chaix d'Est-Ange. Sur le réquisitoire de M. Pinard (alors avocat général et plus tard ministre de l'Intérieur), le délit d'ofense à la morale religieuse fut écarté, mais en raison de la prévention d'outrage à la morale publiques et aus bones meurs, la Cour prononça la supression de six pièces: Lesbos, Femmes damnées, le Lethé, A cèle qui est trop gaie, les Bijous et les Métamorfoses du Vampire, et la condamnation à une amende de l'auteur et de l'éditeur (21 aout 1857).

Le domage matériel ne fut pas considérable pour Malassis; l'édition était presque épuisée lors de la saisie.

Tout d'abord, Baudelaire voulut protester. On a retrouvé dans ses papiers le brouillon de divers projets de préfaces qu'il abandona lors de la réimpression à la fois diminuée et augmentée des Fleurs du Mal en 1861. Cète mutilation de sa pensée par autorité de justice avait eu pour résultat de rendre les directeurs de journaus et de revues très méfiants à son égard, lorsqu'il leur présentait quelques pages de prose ou des poésies nouvèles; sa situation pécuniaire s'en ressentit. Il travaillait lentement, à ses eures, toujours préocupé d'ateindre l'idéale perfection et ne traitant d'ailleurs que des sujets ausquels le grand public était alors (encore plus qu'aujourd'ui) complètement étranger.

Lorsque Baudelaire posa en 1862 sa candidature aus fauteuils académiques laissés vacants par la mort de Scribe et du Père Lacordaire, il était, dans sa pensée, de protester ainsi contre la condamnation des Fleurs du Mal. L'insuccès de Baudelaire à l'Académie n'était pas douteus. Ses amis, ses vrais amis, Alfred de Vigny et Sainte-Beuve, lui conseillèrent de se désister, ce qu'il fit d'ailleurs en des termes dont on aprécia la modestie et la convenance.

On a beaucoup parlé de la vie douloureuse de Baudelaire: manque d'argent, santé précaire, absence de tendresse féminine, car sa maitresse Jeanne Duval, une jolie fille de couleur qu'il apelait son « vase de tristesse », n'était qu'une sote dont le queur et la pensée étaient loin de lui. Son seul esprit, son méchant esprit était de tourner en ridicule les manies de son ami. Cependant èle était charmante, nous dit Théodore de Banville, « èle portait bien sa brune tête ingénue et superbe, couronée d'une chevelure violemment crespelée et dont la démarche de reine pleine d'une grâce farouche, avait à la fois quelque chose de divin et de bestial ». Et Banville ajoute: « Baudelaire faisait parfois assoir Jeanne devant lui dans un grand fauteuil; il la regardait avec amour et l'admirait longuement; il lui disait des vers dans une langue qu'èle ne savait pas. Certes, c'est là peut-être le meilleur moyen de causer avec une femme dont les paroles détonneraient, sans doute, dans l'ardente sinfonie que chante sa beauté; mais il est naturel aussi que la femme n'en conviène pas et s'étone d'être adorée au même titre qu'une bèle chate. »

Baudelaire n'aima qu'èle et il l'aima exclusivement pour sa beauté, car depuis longtemps, peut-être depuis toujours, il avait senti qu'il était seul auprès d'èle, que les omes sont irévocablement seuls. Persone ne comprend persone. Nous n'avons d'autre demeure que nous- mêmes. Tout son dandysme fut fait de ce splendide isolement. Toutefois sa sensibilité était d'autant plus profonde qu'èle semblait moins aparente. Rien ne la révélait. Il avait l'air froid, quelque peu distant, mais il subjuguait. Ses ieus couleur de tabac d'Espagne, son épaisse chevelure sombre, son élégance, son intéligence, l'enchantement de sa vois chaude et bien timbrée, plus encore que son éloquence naturèle qui lui faisait déveloper des paradoxes avec une magnifique intéligence et on ne saurait dire quel magnétisme personel qui se dégageait de toutes les impressions refoulées au-dedans de lui, le rendaient extrêmement séduisant. Hélas! toutes ces bèles qualités ne le servirent point--du moins financièrement--il ignorait l'art de monayer son génie. Ainsi, pratiquement du moins, come tant d'autres, il se trouva desservi par sa fierté, sa délicatesse, par le meilleur de lui-même.

Baudelaire abitait dans l'ile Saint-Louis, sur le quai d'Anjou, en ce vieil et triste ôtel Pimodan plein de souvenirs somptueus et nostalgiques. Il avait choisi là un apartement composé de plusieurs pièces très hautes de plafond et dont les fenêtres s'ouvraient sur le fleuve qui roule ses eaus glauques et indiférentes au milieu de la vie morbide et fiévreuse. Les pièces étaient tapissées d'un papier aus larges rayures rouges et noires, couleurs diaboliques, qui s'acordaient avec les draperies d'un lourd damas. Les meubles étaient antiques, voluptueus. De larges fauteuils, de paresseus divans invitaient à la rêverie. Aus murs des litografies et des tableaus signés de son ami Delacroix, pures merveilles presque sans importance alors, mais que se disputeraient aujourd'ui à coups de milions les princes de la finance américaine.

Au temps de Baudelaire, c'est-à-dire vers le milieu du dix-neuvième siècle, l'ile Saint-Louis ressemblait par la pais silencieuse qui régnait à travers ses rues et ses quais à certaines viles de province où l'on va nu-tête chez le voisin, où l'on s'atarde à bavarder au seuil des maisons et à y prendre le frais par les beaus soirs d'été à l'eure où la nuit tombe. Artistes et écrivains alaient se dire bonjour sans quiter leur costume d'intérieur et flânaient en négligé sur le quai Bourbon et sur le quai d'Anjou, si parfaitement déserts que c'était une joie d'y regarder couler l'eau et d'y boire la lumière.

Un jour, Baudelaire, coifé uniquement de sa noire chevelure, prenait un bain de soleil sur le quai d'Anjou, tout en croquant de délicieuses pomes de tère frites qu'il prenait une à une dans un cornet de papier, lorsque vinrent à passer en calèche découverte de très grandes dames amies de sa mère, l'ambassadrice, et qui s'amusèrent beaucoup à voir ainsi le poète picorer une nouriture aussi démocratique. L'une d'èles, une duchesse, fit arêter la voiture et apela Baudelaire.

--« C'est donc bien bon, demanda-t-èle ce que vous mangez là?

--Goutez, madame, dit le poète en faisant les oneurs de son cornet de pomes de tère frites avec une grâce suprême. »

Et il les amusa si bien par ce régal inatendu et par sa conversation qu'èles seraient restées là jusqu'à la fin du monde.

Quelques jours plus tard, la duchesse rencontrant Baudelaire dans le salon d'une vieille parente à èle, lui demanda si èle n'aurait pas l'ocasion de manger encore des pomes de tère frites.

--« Non, madame, répondit finement le poète, car èles sont, en éfet, très bones, mais seulement la première fois qu'on en mange. »

Cète petite anecdote racontée par les istoriens du poète est devenue classique; mais nous n'avons pu résister au plaisir de la répéter ici.

Baudelaire, plus ou moins pauvre, car la fortune laissée par son père avait été dévorée rapidement, fut toujours plein de délicatesse et doué de cet esprit de finesse fait de bèle umeur et d'ironie souriante. Cependant ses embaras d'argent devenus croniques, aussi bien que son état maladif, rendirent lamentables les dernières anées du poète. Frapé de paralisie générale, ayant perdu la mémoire des mots, après une longue agonie, il s'éteignit à quarante-six ans. Sa mère et son ami Charles Asselineau étaient à son chevet. Ses euvres lui ont survécu, mais la place d'oneur qu'il méritait par son génie parmi les romantiques ne lui fut vraiment acordée qu'à l'aube de ce siècle. On l'avait tenu jusqu'alors pour un très abile ciseleur de frases, le Benvenuto Cellini des vers, mais c'était presque un incompris, un névrosé.

Il comença, dit-on, par étoner les sots, mais il devait étoner bien davantage les gens d'esprit en laissant à la postérité ce livre imortel: les Fleurs du Mal.

Henry FRICHET.

 

AU LECTEUR

La sotise, l'éreur, le péché, la lésine,
Ocupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Come les mendiants nourissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches,
Nous nous faisons payer grassement nos aveus,
Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeus,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aus objets répugnants nous trouvons des apâts;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans oreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martirisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort come une vieille orange.

Séré, fourmillant, come un milion d'elmintes,
Dans nos cerveaus ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brodé de leurs plaisants desseins
Le canevas banal de nos piteus destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les pantères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus imonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la tère un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;

C'est l'Ennui!--L'euil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le conais, lecteur, ce monstre délicat,
--Ipocrite lecteur,--mon semblable,--mon frère!

 

SPLEEN ET IDÉAL

BENEDICTION

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète aparait en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasfèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:

« Ah! que n'ai-je mis bas tout un neud de vipères,
Plutôt que de nourir cète dérision!
Maudite soit la nuit aus plaisirs éfémères
Où mon ventre a conçu mon expiation!

« Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégout de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flames,
Come un billet d'amour, ce monstre rabougri,

« Je ferai rejaillir la haine qui m'acable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne poura poussa ses boutons empestés! »

Èle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Èle-même prépare au fond de la Géène
Les buchers consacrés aus crimes maternels.

Pourtant, sous la tutèle invisible d'un Ange,
L'Enfant désérité s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage
Et s'enivre en chantant du chemin de la crois;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai come un oiseau des bois.

Tous ceus qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquilité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec ipocrisie ils jètent ce qu'il touche,
Et s'acusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques:
« Puisqu'il me trouve assez bèle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et come èles je veus me faire redorer;

« Et je me soûlerai de nard, d'encens, de mire,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un queur qui m'admire
Usurper en riant les omages divins!

« Et, quand je m'ennuîrai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main;
Et mes ongles, pareils aus ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son queur se frayer un chemin.

« Come un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'aracherai ce queur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite,
Je le lui jèterai par tère avec dédain! »

Vers le Ciel, où son euil voit un trône splendide,
Le Poète serein lève ses bras pieus,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieus:

« Soyez béni, mon Dieu, qui donez la soufrance
Come un divin remède à nos impuretés,
Et come la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aus saintes voluptés!

« Je sais que vous gardez une place au Poète
Dans les rangs bien-eureus des saintes Légions,
Et que vous l'invitez à l'éternèle fête
Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

« Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la tère et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma courone mistique
Imposer tous les temps et tous les univers.

« Mais les bijous perdus de l'antique Palmyre,
Les métaus inconus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pouraient pas sufire
A ce beau diadème éblouissant et clair;

« Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les ieus mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs! »

 

L'ALBATROS

Souvent, pour s'amuser, les omes d'équipage
Prènent des albatros, vastes oiseaus des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les goufres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteus,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Come des avirons trainer à côté d'eus.

Ce voyageur ailé, come il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brule-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

 

ELEVATION

Au-dessus des étangs, au-dessus des valées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éters,
Par delà les confins des sfères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, come un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillones gaiment l'imensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides,
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, come une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Dérière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Eureus celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineus et sereins!

Celui dont les pensers, come des alouètes,
Vers les cieus le matin prènent un libre essor,
--Qui plane sur la vie et comprend sans éfort
Le langage des fleurs et des choses muètes!

 

LES FARES

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraiche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie aflue et s'agite sans cesse,
Come l'air dans le ciel et la mer dans la mer;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un dous souris
Tout chargé de mistère, aparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;

Rembrandt, triste ôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exale des ordures,
Et d'un rayon d'iver traversé brusquement;

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christ, et se lever tout droits
Des fantômes puissants, qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand queur gonflé d'orgueil, ome débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats;

Watteau, ce carnaval où bien des queurs ilustres,
Come des papillons, èrent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant;

Goya, cauchemar plein de choses inconues,
De fétus qu'on fait cuire au milieu des sabats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les Démons ajustant bien leurs bas;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapin toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, come un soupir étoufé de Weber;

Ces malédictions, ces blasfèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un éco redit par mile labirintes;
C'est pour les queurs mortels un divin opium.

C'est un cri répété par mile sentinèles,
Un ordre renvoyé par mile portevois;
C'est un fare alumé sur mile citadèles,
Un apel de chasseurs perdus dans les grands bois!

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions doner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité!

 

LA MUSE VENALE

O Muse de mon queur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chaufer tes deus pieds violets?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aus nocturnes rayons qui percent les volets?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voutes azurées?

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Come un enfant de queur, jouer de l'encensoir,
Chantes des Te Deum ausquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler les apâts
Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

 

L'ÈNEMI

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreus orage,
Traversé ça et là par de brillants soleils;
Le tonère et la pluie ont fait un tel ravage
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pèle et les râteaus
Pour rassembler à neuf les tères inondées,
Où l'eau creuse des trous grands come des tombeaus.

Et qui sait si les fleurs nouvèles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé come une grève
Le mistique aliment qui ferait leur vigueur?

--O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ènemi qui nous ronge le queur
Du sang que nous perdons croit et se fortifie!

 

LA VIE ANTERIEURE

J'ai longtemps abité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mile feus,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueus,
Rendaient pareils, le soir, aus grotes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieus,
Mêlaient d'une façon solennèle et mistique
Les tout-puissants acords de leur riche musique
Aus couleurs du couchant reflété par mes ieus.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraichissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'aprofondir
Le secret douloureus qui me faisait languir.

 

BOHEMIENS EN VOYAGE

La tribu profétique aus prunèles ardentes
Ier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers apétits
Le trésor toujours prêt des mamèles pendantes.

Les omes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blotis,
Promenant sur le ciel des ieus apesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sabloneus, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.

 

L'OME ET LA MER

Ome libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un goufre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des ieus et des bras, et ton queur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cète plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deus ténébreus et discrets,
Ome, nul n'a sondé le fond de tes abimes;
O mer, nul ne conait tes richesses intimes,
Tant vous êtes jalous de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles inombrables
Que vous vous combatez sans pitié ni remord,
Tèlement vous aimez le carnage et la mort,
O luteurs éternels, ô frères implacables!

 

DON JUAN AUS ENFERS

Quand don Juan descendit vers l'onde soutéraine,
Et lorsqu'il eut doné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'euil fier come Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, come un grand troupeau de victimes ofertes,
Dérière lui trainaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts érant sur les rivages
Le fils audacieus qui railla son front blanc.

Frissonant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'épous perfide et qui fui son amant
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand ome de pière
Se tenait à la bare et coupait le flot noir;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

 

CHATIMENT DE L'ORGUEIL

En ces temps merveilleus où la Téologie
Fleurit avec le plus de sève et d'énergie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands
--Après avoir forcé les queurs indiférents,
Les avoir remués dans leurs profondeurs noires;
Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconus,
Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,
--Come un ome monté trop haut, pris de panique,
S'écria, transporté d'un orgueil satanique:
« Jésus, petit Jésus! je t'ai poussé bien haut!
Mais, si j'avais voulu t'ataquer au défaut
De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu'un fétus dérisoire! »

Imédiatement sa raison s'en ala.
L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila;
Tout le caos roula dans cète intéligence,
Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence.
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s'instalèrent en lui,
Come dans un caveau dont la clef est perdue.
Dès lors il fut semblable aus bêtes de la rue,
Et, quand il s'en alait sans rien voir, à travers
Les champs, sans distinguer les étés des ivers,
Sale, inutile et laid come une chose usée,
Il faisait des enfants la joie et la risée.

 

LA BEAUTE

Je suis bèle, ô mortels! come un rêve de pière,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur come un sfinx incompris;
J'unis un queur de neige à la blancheur des cignes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes atitudes.
Que j'ai l'air d'emprunter aus plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus bèles:
Mes ieus, mes larges ieus aus clartés éternèles!

 

L'IDEAL

Ce ne seront jamais ces beautés de vignètes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnètes,
Qui sauront satisfaire un queur come le mien.

Je laisse, à Gavarni, poète des cloroses,
Soa troupeau gazouillant de beautés d'ôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

Ce qu'il faut à ce queur profond come un abime,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans;

Ou bien toi, grand Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes apâts façonés aus bouches des Titans!

 

LE MASQUE

STATUE ALÉGORIQUE DANS LE GOUT DE LA RENAISSANCE

A ERNEST CHRISTOPHE
STATUAIRE

Contemplons ce trésor de grâces florentines;
Dans l'ondulation de ce corps musculeus
L'Elégance et la Force abondent, seurs divines.
Cète femme, morceau vraiment miraculeus,
Divinement robuste, adorablement mince,
Est faite pour trôner sur des lits somptueus,
Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.

--Aussi, vois ce souris fin et voluptueus
Où la Fatuité promène son extase;
Ce long regard sournois, langoureus et moqueur;
Ce visage mignard, tout encadré de gaze,
Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:
« La Volupté m'apèle et l'Amour me courone! »
A cet être doué de tant de majesté
Vois quel charme excitant la gentillesse done!
Aprochons, et tournons autour de sa beauté.

O blasfème de l'art! ô surprise fatale!
La femme au corps divin, prométant le boneur,
Par le haut se termine en monstre bicéfale!

Mais non! Ce n'est qu'un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement,
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l'abri de la face qui ment.
--Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon queur soucieus;
Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve
Aus flots que la Douleur fait jaillir de tes ieus!

--Mais pourquoi pleure-t-èle? Èle, beauté parfaite
Qui métrait à ses pieds le genre umain vaincu,
Quel mal mistérieus ronge son flanc d'atlète?

--Èle pleure, insensé, parce qu'èle a vécu!
Et parce qu'èle vit! Mais ce qu'èle déplore
Surtout, ce qui la fait frémir jusqu'aus genous,
C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore!
Demain, après-demain et toujours!--come nous!

 

IMNE A LA BEAUTE

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime,
O Beauté? Ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton euil le couchant et l'aurore;

Tu répands des parfums come un soir orageus;
Tes baisers sont un filtre et ta bouche une anfore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageus.
Sors-tu du goufre noir ou descends-tu des astres?

Le Destin charmé suit tes jupons come un chien;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts. Beauté, dont tu te moques;
De tes bijous l'Oreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleus danse amoureusement.

L'éfémère ébloui vole vers toi, chandèle,
Crépite, flambe et dit: Bénissons ce flambeau!
L'amoureus pantelant incliné sur sa bèle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

Que tu viènes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
O Beauté! monstre énorme, éfrayant, ingénu!
Si ton euil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un infini que j'aime et n'ai jamais conu?

De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirène,
Qu'importé, si tu rends,--fée aus ieus de velours,
Ritme, parfum, lueur, ô mon unique reine!--
L'univers moins hideus et les instants moins lourds?

 

LA CHEVELURE

O toison, moutonant jusque sur l'encolure!
O boucles! O parfum chargé de nonchaloir!
Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cète chevelure,
Je la veus agiter dans l'air come un mouchoir.

La langoureuse Asie et la brulante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!
Come d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'ome, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flames et de mâts:

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur;
Où les vaisseaus, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternèle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé!

Cheveus bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel imense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'uile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le safir,
Afin qu'à mon, désir tu ne sois jamais sourde!
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir?

Je t'adore à l'égal de la voute nocturne,
O vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t'aime d'autant plus, bèle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement acumuler les lieues
Qui séparent mes bras des imensités bleues.

Je m'avance à l'ataque, et je grimpe aus assauts,
Come après un cadavre un queur de vermisseaus,
Et je chéris, ô bête implacable et cruèle,
Jusqu'à cète froideur par où tu m'es plus bèle!

Tu métrais l'univers entier dans ta ruèle,
Femme impure! L'ennui rend ton âme cruèle.
Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,
Il te faut chaque jour un queur au râtelier.
Tes ieus, iluminés ainsi que des boutiques
Ou des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,
Usent insolemment d'un pouvoir emprunté,
Sans conaitre jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde en cruauté féconde!
Salutaire instrument, buveur du sang du monde,
Coment n'as-tu pas honte, et coment n'as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes apâts?
La grandeur de ce mal où tu te crois savante
Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins cachés,
De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,
--De toi, vil animal,--pour pétrir un génie?

O fangeuse grandeur, sublime ignominie!

 

SED NON SATIATA

Bizare déité, brune come les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Euvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes ieus sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deus grands ieus noirs, soupiraus de ton âme,
O démon sans pitié, verse-moi moins de flame;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,

Hélas! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mètre aus abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand èle marche, on croirait qu'èle danse,
Come ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Come le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deus à l'umaine soufrance,
Come les longs réseaus de la houle des mers,
Èle se dévelope avec indiférence.

Ses ieus polis sont faits de minéraus charmants,
Et dans cète nature étrange et simbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sfinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, come un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.

 

LE SERPENT QUI DANSE

Que j'aime voir, chère indolente,
    De ton corps si beau,
Come une étoile vacillante,
    Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde
    Aus âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
    Aus flots bleus et bruns.

Come un navire qui s'éveille
    Au vent du matin,
Mon âme rêveuse apareille
    Pour un ciel lointain.

Tes ieus, où rien ne se révèle
    De dous ni d'amer,
Sont deus bijous froids où se mêle
    L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
    Bèle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
    Au bout d'un bâton;

Sous le fardeau de ta paresse
    Ta tête d'enfant
Se balance avec la molesse
    D'un jeune éléfant,

Et son corps se penche et s'alonge
    Come un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord, et plonge
    Ses vergues dans l'eau.

Come un flot grossi par la fonte
    Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
    Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
    Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
    D'étoiles mon queur!

 

UNE CHAROGNE

Rapelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
    Ce beau matin d'été si dous:
Au détour d'un sentier une charogne infâme
    Sur un lit semé de caillous,

Les jambes en l'air, come une femme lubrique,
    Brulante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cinique
    Son ventre plein d'exalaisons.

Le soleil rayonait sur cète pouriture,
    Come afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
    Tout ce qu'ensemble èle avait joint.

Et le ciel regardait la carcasse superbe
    Come une fleur s'épanouir;
La puanteur était si forte que sur l'erbe
    Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonaient sur ce ventre putride,
    D'où sortaient de noirs bataillons
De larves qui coulaient come un épais liquide
    Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait come une vague,
    Où s'élançait en pétillant;
On eût dit que le corps, enflé d'un soufle vague,
    Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique
    Come l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vaneur d'un mouvement ritmique
    Agite et tourne dans son van.

Les formes s'éfaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
    Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
    Seulement par le souvenir.

Dérière les rochers une chiène inquiète
    Nous regardait d'un euil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelète
    Le morceau qu'èle avait lâché.

--Et pourtant vous serez semblable à cète ordure,
    A cète orible infection,
Etoile de mes ieus, soleil de ma nature,
    Vous, mon ange et ma passion!

Oui! tèle vous serez, ô la reine des grâces,
    Après les derniers sacrements,
Quand vous irez sous l'erbe et les floraisons grasses,
    Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté, dites à la vermine
    Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
    De mes amours décomposés!

 

DE PROFUNDIS CLAMAVI

J'implore ta pitié. Toi, l'unique que j'aime,
Du fond du goufre obscur où mon queur est tombé.
C'est un univers morne à l'orizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'oreur et le blasfème;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la tère;
C'est un pays plus nu que la tère polaire;
Ni bêtes, ni ruisseaus, ni verdure, ni bois!

Or il n'est d'oreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cète imense nuit semblable au vieus Caos;

Je jalouse le sort des plus vils animaus
Qui peuvent se plonger dans un someil stupide,
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide!

 

LE VAMPIRE

Toi qui, come un coup de couteau.
Dans mon queur plaintif est entrée;
Toi qui, forte come un troupeau
De démons, vins, fole et parée,

De mon esprit umilié
Faire ton lit et ton domaine.
--Infâme à qui je suis lié
Come le forçat à la chaine,

Come au jeu le joueur têtu,
Come à la bouteille l'ivrogne,
Come aus vermines la charogne,
--Maudite, maudite sois-tu!

J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.

Hélas! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit:
« Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
A ton esclavage maudit,

Imbécile!--de son empire
Si nos éforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire! »

Une nuit que j'étais près d'une afreuse Juive,
Come au long d'un cadavre un cadavre étendu,
Je me pris à songer près de ce corps vendu
A la triste beauté dont mon désir se prive.

Je me représentai sa majesté native,
Son regard de vigueur et de grâces armé,
Ses cheveus qui lui font un casque parfumé,
Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.

Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps,
Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses
Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans éfort
Tu pouvais seulement, ô reine des cruèles,
Obscurcir la splendeur de tes froides prunèles.

 

REMORDS POSTUME

Lorsque tu dormiras, ma bèle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau pluvieus et qu'une fosse creuse;

Quand la pière, oprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton queur de batre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini,
--Car le tombeau toujours comprendra le poète,--
Durant ces longues nuits d'où le some est bani,

Te dira: « Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas conu ce que pleurent les morts? »
--Et le ver rongera ta peau come un remords.

 

LE CHAT

Viens, mon beau chat, sur mon queur amoureus:
    Retiens les grifes de ta pate,
Et laisse-moi plonger dans tes beaus ieus,
    Mêlés de métal et d'agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
    Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
    De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit; son regard,
    Come le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend come un dard.

    Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereus parfum
    Nagent autour de son corps brun.

 

LE BALCON

Mère des souvenirs, maitresse des maitresses,
O toi, tous mes plaisirs, ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rapèleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maitresse des maitresses!

Les soirs iluminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses;
Que ton sein m'était dous! que ton queur m'était bon!
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs iluminés par l'ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaus dans les chaudes soirées!
Que l'espace est profond! que le queur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaus dans les chaudes soirées!

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes ieus dans le noir devinaient tes prunèles
Et je buvais ton soufle, ô douceur, ô poison!
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternèles,
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Je sais l'art d'évoquer les minutes eureuses,
Et revis mon passé bloti dans tes genous.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton queur si dous?
Je sais l'art d'évoquer les minutes eureuses!

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaitront-ils d'un goufre interdit à nos sondes,
Come montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lacés au fond des mers profondes!
--O serments! ô parfums! ô baisers infinis!

 

LE POSSEDE

Le soleil s'est couvert d'un crêpe. Come lui,
O Lune de ma vie! emmitoufle-toi d'ombre;
Dors ou fume à ton gré; sois muète, sois sombre,
Et plonge tout entière au goufre de l'Ennui;

Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veus aujourd'ui,
Come un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner aus lieus que la Folie encombre,
C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton étui!

Alume ta prunèle à la flame des lustres!
Alume le désir dans les regards des rustres!
Tout de toi m'est plaisir, morbide ou pétulant;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;
Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie: O mon cher Belzébuth, je t'adore!

 

UN FANTOME

I

LES TÉNÉBRES

Dans les caveaus d'insondable tristesse
Où le Destin m'a déjà relégué;
Où jamais n'entre un rayon rosé et gai;
Où, seul avec la Nuit, maussade ôtesse,

Je suis come un peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;
Où, cuisinier aus apétits funèbres,
Je fais bouillir et je mange mon queur,

Par instants brille, et s'alonge, et s'étale
Un spectre fait de grâce et de splendeur:
A sa rêveuse alure orientale,

Quand il ateint sa totale grandeur,
Je reconais ma bèle visiteuse:
C'est Èle! sombre et pourtant lumineuse.

 

II

 

LE PARFUM

Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d'encens qui remplit une église,
Ou d'un sachet le musc invétéré?

Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré!
Ainsi l'amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise.

De ses cheveus élastiques et lourds,
Vivant sachet, encensoir de l'alcôve,
Une senteur montait, sauvage et fauve,

Et des abits, mousseline ou velours,
Tout imprégnés de sa jeunesse pure,
Se dégageait un parfum de fourure.

 

III

 

LE CADRE

Come un beau cadre ajoute à la peinture,
Bien qu'èle soit d'un pinceau très vanté,
Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté
En l'isolant de l'imense nature.

Ainsi bijous, meubles, métaus, dorure,
S'adaptaient juste à sa rare beauté;
Rien n'ofusquait sa parfaite clarté,
Et tout semblait lui servir de bordure.

Même on eût dit parfois qu'èle croyait
Que tout voulait l'aimer; èle noyait
Dans les baisers du satin et du linge

Son beau corps nu, plein de frissonements,
Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,
Montrait la grâce enfantine du singe.

 

IV

 

LE PORTRAIT

La Maladie et la Mort font des cendres
De tout le feu qui pour nous flamboya.
De ces grands ieus si fervents et si tendres,
De cète bouche où mon queur se noya,

De ces baisers puissants come un dictame,
De ces transports plus vifs que des rayons.
Que reste-t-il? C'est afreus, ô mon âme!
Rien qu'un dessin fort pâle, aus trois crayons,

Qui, come moi, meurt dans la solitude,
Et que le Temps, injurieus vieillard,
Chaque jour frote avec son aile rude...

Noir assassin de la Vie et de l'Art,
Tu ne tueras jamais dans ma mémoire
Cèle qui fut mon plaisir et ma gloire!

Je te done ces vers afin que, si mon nom
Aborde eureusement aus époques lointaines
Et fait rêver un soir les cervèles umaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aus fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu'un timpanon,
Et par un fraternel et mistique chainon
Reste come pendue à mes rimes hautaines;

Etre maudit à qui de l'abime profond
Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne répond;
--O toi qui, come une ombre à la trace éfémère,

Foules d'un pied léger et d'un regard serein
Les stupides mortels qui t'ont jugée amère,
Statue aus ieus de jais, grand ange au front d'airain!

 

SEMPER EADEM

« D'où vous vient, disiez-vous, cète tristesse étrange,
Montant come la mer sur le roc noir et nu? »
--Quand notre queur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal! C'est un secret de tous conu,

Une douleur très simple et non mistérieuse,
Et, come votre joie, éclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, ô bèle curieuse!
Et, bien que votre vois soit douce, taisez-vous!

Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie!
Bouche au rire enfantin! Plus encore que la Vie,
La Mort nous tient souvent par des liens subtils.

Laissez, laissez mon queur s'enivrer d'un mensonge,
Plonger dans vos beaus ieus come dans un beau songe,
Et someiller longtemps à l'ombre de vos cils!

 

TOUT ENTIERE

Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit: « Je voudrais bien savoir,

Parmi toutes les bèles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus dous. »--O mon âme!
Tu répondis à l'Aboré:
« Puisqu'en èle tout est dictame,
Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j'ignore
Si quelque chose me séduit.
Èle éblouit come l'Aurore
Et console come la Nuit;

Et l'armonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l'impuissante analise
En note les nombreus acords.

O métamorfose mistique
De tous mes sens fondus en un!
Son aleine fait la musique,
Come sa vois fait le parfum! »

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon queur, queur autrefois flétri,
A la très bèle, à la très bone, à la très chère,
Dont le regard divin t'a soudain refleuri?

--Nous métrons noire orgueil à chanter ses louanges,
Rien ne vaut la douceur de son autorité;
Sa chair spirituèle a le parfum des Anges,
Et son euil nous revêt d'un abit de clarté.

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude.
Que ce soit dans la rue et dans la multitude;
Son fantôme dans l'air danse come un flambeau.

Parfois il parle et dit: « Je suis bèle, et j'ordone
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau.
Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. »

 

CONFESSION

Une fois, une seule, aimable et douce femme,
    A mon bras votre bras poli
S'apuya (sur le fond ténébreus de mon âme
    Ce souvenir n'est point pâli).

Il était tard; ainsi qu'une médaille neuve
    La pleine lune s'étalait,
Et la solennité de la nuit, come un fleuve,
    Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,
    Des chats passaient furtivement,
L'oreille au guet, ou bien, come des ombres chères,
    Nous acompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l'intimité libre
    Eclose à la pâle clarté,
De vous, riche et sonore instrument où ne vibre
    Que la radieuse gaité,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare
    Dans le matin étincelant,
Une note plaintive, une note bizare
    S'échapa, tout en chancelant.

Come une enfant chétive, orible, sombre, imonde
    Dont sa famille rougirait,
Et qu'èle aurait longtemps, pour la cacher au monde,
    Dans un caveau mise au secret!

Pauvre ange, èle chantait, votre note criarde:
    « Que rien ici-bas n'est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,
    Se trahit l'égoïsme umain;

Que c'est un dur métier que d'être bèle femme,
    Et que c'est le travail banal
De la danseuse fole et froide qui se pâme
    Dans un sourire machinal;

Que bâtir sur les queurs est une chose sote,
    Que tout craque, amour et beauté,
Jusqu'à ce que l'Oubli les jète dans sa hote
Pour les rendre à l'Eternité! »

J'ai souvent évoqué cète lune enchantée,
    Ce silence et cète langueur,
Et cète confidence orible chuchotée
    Au confessional du queur.

 

LE FLACON

Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le vère.
En ouvrant un cofret venu de l'orient
Dont la sérure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieus flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mile pensers dormaient, crisalides funèbres,
Frémissant doucement dans tes lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prènent leur essor,
Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l'air troublé; les ieus se ferment; le Vertige
Saisit l'âme vaincue et la pousse à deus mains
Vers un goufre obscurci de miasmes umains;

Il la térasse au bord d'un goufre séculaire,
Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des omes, dans le coin d'une sinistre armoire;
Quand on m'aura jeté, vieus flacon désolé,
Décrépit, poudreus, sale, abject, visqueus, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon queur!

 

LE POISON

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
    D'un luxe miraculeus,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleus
    Dans l'or de sa vapeur rouge,
Come un soleil couchant dans un ciel nébuleus.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
    Alonge l'ilimité,
Aprofondit le temps, creuse la volupté,
    Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
    De tes ieus, de tes ieus verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
    Mes songes viènent en foule
Pour se désaltérer à ces goufres amers.

Tout cela ne vaut pas le térible prodige
    De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,
    Et, chariant le vertige,
La roule défaillante aus rives de la mort!

 

LE CHAT

I

Dans ma cervèle se promène
Ainsi qu'en son apartement,
Un beau chat, fort, dous et charmant,
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa vois s'apaise ou gronde,
Èle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cète vois, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreus,
Me remplit come un vers nombreus
Et me réjouit come un filtre.

Èle endort les plus cruels maus
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues frases,
Èle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon queur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde

Que ta vois, chat mistérieus,
Chat sérafique, chat étrange,
En qui tout est, come un ange,
Aussi subtil qu'armonieus.

 

II

De sa fourure blonde et brune
Sort un parfum si dous, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?

Quand mes ieus, vers ce chat que j'aime
Tirés come par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonement
Le feu de ses prunèles pâles,
Clairs fanaus, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.

 

LE BEAU NAVIRE

Je veus te raconter, ô mole enchanteresse,
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;
    Je veus te peindre ta beauté
Où l'enfance s'alie à la maturité.

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'éfet d'un beau vaisseau qui prend le large,
    Chargé de toile, et va roulant
Suivant un ritme dous, et paresseus, et lent.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranges grâces;
    D'un air placide et trionfant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Je veus te raconter, ô mole enchanteresse,
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;
    Je veus te peindre ta beauté
Où l'enfance s'alie à la maturité.

Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge trionfante est une bèle armoire
    Dont les paneaus bombés et clairs
Come les boucliers acrochent des éclairs;

Boucliers provoquants, armés de pointes roses!
Armoire à dous secrets, pleine de bones choses,
    De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient délirer les cerveaus et les queurs!

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'éfet d'un beau vaisseau qui prend le large,
    Chargé de toile, et va roulant
Suivant un ritme dous, et paresseus, et lent.

Tes nobles jambes sons les volants qu'èles chassent,
Tourmentent les désirs obscurs et les agacent
    Come deus sorcières qui font
Tourner un filtre noir dans un vase profond.

Tes bras qui se joueraient des précoces hercules
Sont des boas luisants les solides émules,
    Faits pour sérer obstinément,
Come pour l'imprimer dans ton queur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranches grâces;
    D'un air placide et trionfant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

 

L'IRREPARABLE

I

Pouvons-nous étoufer le vieus, le long Remords,
    Qui vit, s'agite et se tortille,
Et se nourit de nous come le ver des morts,
    Come du chêne la chenille?
Pouvons-nous étoufer l'implacable Remords?

Dans quel filtre, dans quel vin, dans quèle tisane
    Noierons-nous ce vieil ènemi,
Destructeur et gourmand come la courtisane,
    Patient come la fourmi?
Dans quel filtre?--dans quel vin?--dans quèle tisane?

Dis-le, bèle sorcière, oh! dis, si tu le sais,
    A cet esprit comblé d'angoisse
Et pareil au mourant qu'écrasent les blessés,
    Que le sabot du cheval froisse,
Dis-le, bèle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

A cet agonisant que le loup déjà flaire
    Et que surveille le corbeau,
A ce soldat brisé, s'il faut qu'il désespère
    D'avoir sa crois et son tombeau;
Ce pauvre agonisant que le loup déjà flaire!

Peut-on iluminer un ciel bourbeus et noir?
    Peut-on déchirer des ténèbres
Plus denses que la pois, sans matin et sans soir,
    Sans astres, sans éclairs funèbres?
Peut-on iluminer un ciel bourbeus et noir?

L'Espérance qui brille aus careaus de l'Auberge
    Est souillée, est morte à jamais!
Sans lune et sans rayons trouver où l'on éberge
    Les martirs d'un chemin mauvais!
Le Diable a tout éteint aus careaus de l'Auberge!

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés!
    Dis, conais-tu l'irémissible?
Conais-tu le Remords, aus traits empoisonés,
    A qui notre queur sert de cible?
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

L'iréparable ronge avec sa dent maudite
    Notre âme, piteus monument,
Et souvent il ataque, ainsi que le termite,
    Par la base le bâtiment.
L'iréparable ronge avec sa dent maudite!

 

II

J'ai vu parfois, au fond d'un téâtre banal
    Qu'enflamait l'orquestre sonore,
Une fée alumer dans un ciel infernal
    Une miraculeuse aurore;
J'ai vu parfois au fond d'un téâtre banal

Un être qui n'était que lumière, or et gaze,
    Térasser l'énorme Satan
Mais mon queur, que jamais ne visite l'extase
    Est un téâtre où l'on atend
Toujours, toujours en vain, l'Etre aus ailes de gaze!

 

CAUSERIE

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose!
Mais la tristesse en moi monte come la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.

--Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme;
Ce qu'èle cherche, amie, est un lieu sacagé
Par la grife et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon queur; les bêtes l'ont mangé.

Mon queur est un palais flétri par la cohue;
On s'y soule, on s'y tue, on s'y prend aus cheveus.
--Un parfum nage autour de votre gorge nue!...

O Beauté, dur fléau des âmes! tu le veus!
Avec tes ieus de feu, brillants come des fêtes!
Calcine ces lambeaus qu'ont épargnés les bêtes!

 

CHANT D'AUTOMNE

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'iver va rentrer dans mon être: colère,
Haine, frissons, oreur, labeur dur et forcé,
Et, come le soleil dans son enfer polaire.
Mon queur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant chaque buche qui tombe;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'éco plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui sucombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part...
Pour qui?--C'était ier l'été; voici l'automne!
Ce bruit mistérieus sone come un départ.

 

II

J'aime de vos longs ieus la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd'ui m'est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre queur! soyez mère
Même pour un ingrat, même pour un méchant;
Amante ou seur, soyez la douceur éfémère
D'un glorieus automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche! La tombe atend; èle est avide!
Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genous,
Gouter, en regrétant l'été blanc et toride,
De l'arière-saison le rayon jaune et dous!

 

CHANSON D'APRES-MIDI

Quoique tes sourcils méchants
Te donent un air étrange
Qui n'est pas celui d'un ange,
Sorcière aus ieus aléchants,

Je t'adore, ô ma frivole,
Ma térible passion!
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les atitudes
De l'énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Come autour d'un encensoir;
Tu charmes come le soir,
Ninfe ténébreuse et chaude.

Ah! les filtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu conais la caresse
Qui fait revivre les morts!

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois pour apaiser
Ta rage mistérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon queur
Ton euil dous come la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur!
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie!

 

SISINA

Imaginez Diane en galant équipage,
Parcourant les forêts ou batant les haliers,
Cheveus et gorge au vent, s'enivrant de tapage,
Superbe et défiant les meilleurs cavaliers!

Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,
Excitant à l'assaut un peuple sans souliers,
La joue et l'euil en feu, jouant son personage,
Et montant, sabre au poing, les royaus escaliers?

Tèle la Sisina! Mais la douce guérière
A l'âme charitable autant que meurtrière,
Son courage, afolé de poudre et de tambours,

Devant les supliants sait mètre bas les armes,
Et son queur, ravagé par la flame, a toujours,
Pour qui s'en montre digne, un réservoir de larmes.

 

A UNE DAME CREOLE

Au pays parfumé que le soleil caresse,
J'ai conu sous un dais d'arbres tout empourprés
Et de palmiers, d'où pleut sur les ieus la paresse,
Une dame créole aus charmes ignorés.

Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse
A dans le col des airs noblement maniérés;
Grande et svelte en marchant come une chasseresse,
Son sourire est tranquile et ses ieus assurés.

Si vous aliez, Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Bèle digne d'orner les antiques manoirs,

Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites,
Germer mile sonets dans le queur des poètes,
Que vos grands ieus rendraient plus soumis que vos noirs.

 

LE REVENANT

Come les anges à l'euil fauve,
Je reviendrai dans ton alcôve
Et vers toi glisserai sans bruit
Avec les ombres de la nuit;

Et je te donerai, ma brune,
Des baisers froids come la lune
Et des caresses de serpent
Autour d'une fosse rampant.

Quand viendra le matin livide,
Tu trouveras ma place vide,
Où jusqu'au soir il fera froid.

Come d'autres par la tendresse,
Sur ta vie et sur ta jeunesse,
Moi, je veus régner par l'éfroi!

 

SONET D'AUTOMNE

Ils me disent, tes ieus, clairs come le cristal:
« Pour toi, bizare amant, quel est donc mon mérite? »
--Sois charmante et tais-toi! Mon queur, que tout irite,
Excepté la candeur de l'antique animal,

Ne veut pas te montrer son secret infernal,
Berceuse dont la main aus longs someils m'invite,
Ni sa noire légende avec la flame écrite.
Je hais la passion et l'esprit me fait mal!

Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite,
Ténébreus, embusqué, bande son arc fatal.
Je conais les engins de son vieil arsenal:

Crime, oreur et folie!--O pâle marguerite!
Come moi n'es-tu pas un soleil automnal,
O ma si blanche, ô ma si froide Marguerite?

 

TRISTESSE DE LA LUNE

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreus coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse,
Avant de s'endormir, le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des moles avalanches,
Mourante, èle se livre aus longues pâmoisons,
Et promène ses ieus sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur come des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Èle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieus, ènemi du someil,

Dans le creus de sa main prend cète larme pâle,
Aus reflets irisés come un fragment d'opale,
Et la met dans son queur loin des ieus du soleil.

 

LES CHATS

Les amoureus fervents et les savants austères
Aiment également dans leur mure saison,
Les chats puissants et dous, orgueil de la maison,
Qui come eus sont frileus et come eus sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l'oreur des ténèbres;
L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prènent en songeant les nobles atitudes
Des grands sfinx alongés au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin;

Leurs reins féconds sont pleins d'étincèles magiques,
Et des parcèles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunèles mistiques.

 

LA PIPE

Je suis la pipe d'un auteur;
On voit, à contempler ma mine
D'Abyssienne ou de Cafrine,
Que mon maitre est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur,
Je fume come la chaumine
Où se prépare la cuisine
Pour le retour du laboureur.

J'enlace et je berce son âme
Dans le réseau mobile et bleu
Qui monte de ma bouche en feu,

Et je roule un puissant dictame
Qui charme son queur et guérit
De ses fatigues son esprit.

 

LA MUSIQUE

La musique souvent me prend come une mer!
    Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éter,
    Je mets à la voile;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
    Come de la toile,
J'escalade le dos des flots amoncelés
    Que la nuit me voile;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
    D'un vaisseau qui soufre;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

    Sur l'imense goufre
Me bercent.--D'autres fois, calme plat, grand mimoir
    De mon désespoir!

 

SEPULTURE D'UN POETE MAUDIT

Si par une nuit lourde et sombre
Un bon chrétien, par charité,
Dérière quelque vieus décombre
Entère votre corps vanté,

A l'eure où les chastes étoiles
Ferment leurs ieus apesantis,
L'araignée y fera ses toiles,
Et la vipère ses petits;

Vous entendrez toute l'anée
Sur votre tête condamnée
Les cris lamentables des loups

Et des sorcières faméliques,
Les ébats des vieillards lubriques
Et les complots des noirs filous.

 

LE MORT JOYEUS

Dans une tère grasse et pleine d'escargots
Je veus creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieus os
Et dormir dans l'oubli come un requin dans l'onde.

Je hais les testaments et je hais les tombeaus;
Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieus inviter les corbeaus
A saigner tous les bouts de ma carcasse imonde.

O vers! noirs compagnons sans oreille et sans ieus,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeus;
Filosofes viveurs, fils de la pouriture,

A travers ma ruine alez donc sans remords,
Et dites-moi s'il est encor quelque torture
Pour ce vieus corps sans âme et mort parmi les morts?

 

LA CLOCHE FELEE

Il est amer et dous, pendant les nuits d'iver,
D'écouter près du feu qui palpite et qui fume
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bien-eureuse la cloche au gosier vigoureus
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jète fidèlement son cri religieus,
Ainsi qu'un vieus soldat qui veille sous la tente!

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Èle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arive souvent que sa vois afaiblie

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'imenses éforts.

 

SPLEEN

Pluviôse, irité contre la vie entière,
De son urne à grands flots vers un froid ténébreus
Aus pâles abitants du voisin cimetière
Et la mortalité sur les faubourgs brumeus.

Mon chat sur le careau cherchant une litière
Agite sans repos son corps maigre et galeus;
L'âme d'un vieus poète ère dans la goutière
Avec la triste vois d'un fantôme frileus.

Le bourdon se lamente, et la buche enfumée
Acompagne en fausset la pendule enrumée,
Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,

Éritage fatal d'une vieille idropique,
Le beau valet de queur et la dame de pique
Causent sinistrement de leurs amours défunts.
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mile ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets dous, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveus roulés dans des quitances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une piramide, un imense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse comune.
--Je suis un cimetière aboré de la lune,
Où come des remords se trainent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieus boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes suranées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses anées
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'imortalité.
--Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeus!
Un vieus sfinx ignoré du monde insoucieus,
Oublié sur la carte, et dont l'umeur farouche
Ne chante qu'aus rayons du soleil qui se couche.

Je suis come le roi d'un pays pluvieus,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieus,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbètes,
S'ennuie avec ses chiens come avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon,
Du boufon favori la grotesque balade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilète
Pour tirer un souris de ce jeune squelète.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viènent
Et dont sur leurs vieus jours les puissants se souviènent,
Il n'a su réchaufer ce cadavre ébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.

Quand le ciel bas et lourd pèse come un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aus longs ennuis,
Et que de l'orizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la tère est changée en un cachot umide,
Où l'Espérance, come une chauvesouris,
S'en va batant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pouris;

Quand la pluie étalant ses imenses trainées
D'une vaste prison imite les bareaus,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaus,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un afreus hurlement,
Ainsi que des esprits érants et sans patrie
Qui se mètent à geindre opiniâtrement.

--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

LE GOUT DU NEANT

Morne esprit, autrefois amoureus de la lute,
L'Espoir, dont l'éperon atisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieus cheval dont le pied à chaque obstacle bute.

Résigne-toi, mon queur; dors ton someil de brute.

Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieus maraudeur,
L'amour n'a plus de gout, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flute!
Plaisirs, ne tentez plus un queur sombre et boudeur!

Le Printemps adorable a perdu son odeur!

Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Come la neige imense un corps pris de roideur;
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute!
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,

Avalanche, veus-tu m'emporter dans ta chute?

 

ALCHIMIE DE LA DOULEUR

L'un t'éclaire avec son ardeur
L'autre en toi met son deuil. Naturel
Ce qui dit à l'un: Sépulture!
Dit à l'autre: Vie et splendeur!

Hermès inconu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes;

Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer;
Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher.
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcofages.

 

LA PRIERE D'UN PAÏEN

Ah! ne ralentis pas tes flames;
Réchaufe mon queur engourdi,
Volupté, torture des âmes!
Diva! supplicem exaudi!

Déesse dans l'air répandue,
Flame dans notre soutérain!
Exauce une âme morfondue,
Qui te consacre un chant d'airain.

Volupté, sois toujours ma reine!
Prends le masque d'une sirène
Faite de chair et de velours.

Ou verse-moi tes someils lourds
Dans le vin informe et mistique,
Volupté, fantôme élastique!

 

LE COUVERCLE

En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur tère,
Sous un climat de flame ou sous un soleil blanc,
Serviteur de Jésus, courtisan de Cythère,
Mendiant ténébreus ou Crésus rutilant,

Citadin, campagnard, vagabond, sédentaire,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
Partout l'ome subit la téreur du mistère,
Et ne regarde en haut qu'avec un euil tremblant.

En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'étoufe,
Plafond iluminé pour un opéra boufe
Où chaque istrion foule un sol ensanglanté,

Téreur du libertin, espoir du fol ermite;
Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite
Où bout l'imperceptible et vaste Umanité.

 

L'IMPREVU

Harpagon, qui veillait son père agonisant,
Se dit, rêveur, devant ces lèvres déjà blanches;
« Nous avons au grenier un nombre sufisant,
    Ce me semble, de vieilles planches? »

Célimène roucoule et dit: « Mon queur est bon,
Et naturèlement, Dieu m'a faite très bèle. »
--Son queur! queur racorni, fumé come un jambon,
Recuit à la flame éternèle!

Un gazetier fumeus, qui se croit un flambeau,
Dit au pauvre, qu'il a noyé dans les ténèbres:
« Où donc l'aperçois-tu, ce créateur du Beau,
    Ce Redresseur que tu célèbres? »

Mieus que tous, je conais certains voluptueus
Qui bâille nuit et jour, et se lamente et pleure,
Répétant, l'impuissant et le fat: « Oui, je veus
    Etre vertueus, dans une eure! »

L'orloge, à son tour, dit à vois basse: « Il est mûr,
Le damné! J'avertis en vain la chair infecte.
L'ome est aveugle, sourd, fragile, come un mur
    Qu'abite et que ronge un insecte! »

Et puis, Quelqu'un parait, que tous avaient nié,
Et qui leur dit, railleur et fier: « Dans mon ciboire,
Vous avez, que je crois, assez comunié,
    A la joyeuse Messe noire?

Chacun de vous m'a fait un temple dans son queur;
Vous avez, en secret, baisé ma fesse imonde!
Reconaissez Satan à son rire vainqueur,
    Enorme et laid come le monde!

Avez-vous donc pu croire, ipocrites surpris,
Qu'on se moque du maitre, et qu'avec lui l'on triche,
Et qu'il soit naturel de recevoir deus pris.
    D'aler au Ciel et d'être riche?

Il faut que le gibier paye le vieus chasseur
Qui se morfond longtemps à l'afut de la proie.
Je vais vous emporter à travers l'épaisseur,
    Compagnons de ma triste joie,

A travers l'épaisseur de la tère et du roc,
A travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc,
    Et qui n'est pas de pière tendre;

Car il fait avec l'universel Péché,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!
--Cependant, tout en haut de l'univers juché,
    Un Ange sone la victoire

De ceus dont le queur dit: « Que béni soit ton fouet,
Seigneur! que la douleur, ô Père, soit bénie!
Mon âme dans tes mains n'est pas un vain jouet,
    Et ta prudence est infinie. »

Le son de la trompète est si délicieus,
Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,
Qu'il s'infiltre come une extase dans tous ceus
    Dont èle chante les louanges.

 

L'EXAMEN DE MINUIT

La pendule, sonant minuit,
Ironiquement nous engage
A nous rapeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s'enfuit:
--Aujourd'ui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d'un érétique.

Nous avons blasfémé Jésus,
Des Dieus le plus incontestable!
Come un parasite à la table
De quelque monstrueus Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flaté ce qui nous rebute;

Contristé, servile boureau,
Le faible qu'à tort on méprise;
Salué l'énorme Bêtise,
La Bêtise au front de taureau;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleus de la Lire,
Dont la gloire est de déployer
L'ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim!...
--Vite souflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres!

 

MADRIGAL TRISTE

Que m'importe que tu sois sage?
Sois bèle! et sois triste! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Come le fleuve au paysage;
L'orage rajeunit les fleurs.

Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front térassé;
Quand ton queur dans l'oreur se noie;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage afreus du passé.

Je t'aime quand ton grand euil verse
Une eau chaude come le sang;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Come un râle d'agonisant.
J'aspire, volupté divine!

Imne profond, délicieus!
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton queur s'ilumine
Des perles que versent tes ieus!

Je sais que ton queur, qui regorge
De vieus amours déracinés,
Flamboie encor come une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l'orgueil des damnés;

Mais tant, ma chère, que tes rêves
N'auront pas reflété l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer,

N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
Déchifrant le maleur partout,
Te convulsant quand l'eure tinte,
Tu n'auras pas senti l'étreinte
De l'irésistible Dégout,

Tu ne pouras, esclave reine
Qui ne m'aimes qu'avec éfroi,
Dans l'oreur de la nuit malsaine
Me dire, l'âme de cris pleine:
« Je suis ton égale, ô mon Roi! »

 

L'AVERTISSEUR

Tout ome digne de ce nom
A dans le queur un Serpent jaune,
Instalé come sur un trône,
Qui, s'il dit: « Je veus! » répond: « Non! »

Plonge tes ieus dans les ieus fixes
Des Satyresses ou des Nixes,
La Dent dit: « Pense à ton devoir! »

Fais des enfants, plante des arbres ».
Polis des vers, sculpte des marbres,
La Dent dit: « Vivras-tu ce soir? »

Quoi qu'il ébauche ou qu'il espère,
L'ome ne vit pas un moment
Sans subir l'avertissement
De l'insuportable Vipère.

 

A UNE MALABARAISE

Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus bèle blanche;
A l'artiste pensif ton corps est dous et cher;
Tes grands ieus de velours sont plus noirs que ta chair
Aus pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naitre,
Ta tâche est d'alumer la pipe de ton maitre,
De pourvoir les flacons d'eaus fraiches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veus, tu mènes tes pieds nus,
Et fredones tout bas de vieus airs inconus;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une nate,
Où tes rêves flotants sont pleins de colibris,
Et toujours, come toi, gracieus et fleuris.
Pourquoi, l'eureuse enfant, veus-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la soufrance,
Et, confiant ta vie aus bras forts des marins,
Faire de grands adieus à tes chers tamarins?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonante là-bas sous la neige et les grêles,
Come tu pleurerais tes loisirs dous et francs,
Si, le corset brutal emprisonant tes flancs,
Il te falait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'euil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars!

 

LA VOIS

Mon berceau s'adossait à la bibliotèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J'étais haut come un in-folio.
Deus vois me parlaient. L'une, insidieuse et ferme,
Disait: « La Tère est un gâteau plein de douceur;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme!)
Te faire un apétit d'une égale grosseur. »
Et l'autre: « Viens, oh! viens voyager dans les rêves
Au delà du possible, au delà du conu! »
Et cèle-là chantait come le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d'où venu,
Qui caresse l'oreille et cependant l'éfraie.
Je te répondis: « Oui! douce vois! » C'est d'alors
Que date ce qu'on peut, hélas! nomer ma plaie
Et ma fatalité. Dérière les décors
De l'existence imense, au plus noir de l'abime,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traine des serpents qui mordent mes souliers.
Et c'est depuis ce temps que, pareil aus profètes,
J'aime si tendrement le désert et la mer;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un gout suave au vin le plus amer;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges
Et que, les ieus au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la Vois me console et dit: « Garde des songes;
Les sages n'en ont pas d'aussi beaus que les fous! ».

 

IMNE

A la très chère, à la très bèle
Qui remplit mon queur de clarté,
A l'ange, à l'idole imortèle,
Salut en imortalité!

Èle se répand dans ma vie
Come un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie,
Verse le gout de l'éternel.

Sachet toujours frais qui parfume
L'atmosfère d'un cher réduit,
Encensoir oublié qui fume
En secret à travers la nuit,

Coment, amour incoruptible,
T'exprimer avec vérité?
Grain de musc qui gis, invisible,
Au fond de mon éternité!

A l'ange, à l'idole imortèle,
A la très bone, à la très bèle
Qui fait ma joie et ma santé,
Salut en imortalité!

 

LE REBÈLE

Un Ange furieus fond du ciel come un aigle,
Du mécréant saisit à plein poing les cheveus,
Et dit, le secouant: « Ta conaitras la règle!
(Car je suis ton bon Ange, entends-tu?) Je le veus!

Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace,
Le pauvre, le méchant, le tortu, l'ébété,
Pour que tu puisses faire à Jésus, quand il passe,
Un tapis trionfal avec ta charité.

Tel est l'Amour! Avant que ton queur ne se blase,
A la gloire de Dieu ralume ton extase;
C'est la Volupté vraie aus durables apâts! »

Et l'Ange, châtiant autant, ma foi! qu'il aime,
De ses poings de géant torture l'anatème;
Mais le damné répond toujours; « Je ne veus pas! »

 

LE JET D'EAU

Tes beaus ieus sont las, pauvre amante!
Reste longtemps sans les rouvrir,
Dans cète pose nonchalante
Où t'a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d'eau qui jase
Et ne se tait ni nuit ni jour,
Entretient doucement l'extase
Où ce soir m'a plongé l'amour.

    La gerbe épanouie
      En mile fleurs,
    Où Phœbé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe come une pluie
      De larges pleurs.

Ainsi ton âme qu'incendie
L'éclair brulant des voluptés
S'élance, rapide et hardie,
Vers les vastes cieus enchantés.
Puis, èle s'épanche, mourante,
En un flot de triste langueur,
Qui par une invisible pente
Descend jusqu'au fond de mon queur.

    La gerbe épanouie
      En mile fleurs,
    Où Phœbé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe come une pluie
      De larges pleurs.

0 toi, que la nuit rend si bèle,
Qu'il m'est dous, penché vers tes seins,
D'écouter la plainte éternèle
Qui sanglote dans les bassins!
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.

    La gerbe épanouie
      En mile fleurs,
    Où Phœbé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe come une pluie
      De larges pleurs.

 

LE COUCHER DU SOLEIL ROMANTIQUE

Que le Soleil est beau quand tout frais il se lève,
Come une explosion nous lançant son bonjour!
--Bien-eureus celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieus qu'un rêve!

Je me souviens!... J'ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son euil come un queur qui palpite,..
--Courons vers l'orizon, il est tard, courons vite,
Pour atraper au moins un oblique rayon!

Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire;
L'irésistible Nuit établit son empire,
Noire, umide, funeste et pleine de frissons;

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureus froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

 

LE GOUFRE

Pascal avait son goufre, avec lui se mouvant.
--Hélas! tout est abime,--action, désir, rêve,
Parole! et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l'espace afreus et captivant...
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J'ai peur du someil come on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague oreur, menant on ne sait où;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l'insensibilité.
--Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Etres!

 

LES PLAINTES D'UN ICARE

Les amants des prostituées
Sont eureus, dispos et repus;
Quant à moi, mes bras sont rompus
Pour avoir étreint des nuées.

C'est grâce aus astres non pareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
Que mes ieus consumés ne voient
Que des souvenirs de soleils.

En vain j'ai voulu de l'espace,
Trouver la fin et le milieu;
Sous je ne sais quel euil de feu
Je sens mon aile qui se casse;

Et brulé par l'amour du beau,
Je n'aurai pas l'oneur sublime
De doner mon nom à l'abime
Qui me servira de tombeau.

 

RECUEILLEMENT

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquile,
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosfère obscure envelope la vile,
Aus uns portant la pais, aus autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce boureau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, done-moi la main; viens par ici,

Loin d'eus. Vois se pencher les défuntes Anées,
Sur les balcons du ciel, en robes suranées;
Surgir du fond des eaus le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, come un long linceul trainant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

 

L'HEAUTONTIMOROUMENOS

A. J. G. F.

Je te fraperai sans colère
Et sans haine,--come un boucher!
Come Moïse le rocher,
--Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Sahara,
Jaillir les eaus de la soufrance,
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera

Come un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon queur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Come un tambour qui bat la charge!

Ne suis-je pas un faus acord
Dans la divine sinfonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord?

Èle est dans ma vois, la criarde!
C'est tout mon sang, ce poison noir!
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau!
Je suis le souflet et la joue!
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le boureau!

Je suis de mon queur le vampire,
--Un de ces grands abandonés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire!

 

L'IRREMEDIABLE

I

Une Idée, une Forme, un Etre
Parti de l'azur et tombé
Dans un Styx bourbeus et plombé
Où nul euil du Ciel ne pénètre;

Un Ange, imprudent voyageur
Qu'a tenté l'amour du diforme,
Au fond d'un cauchemar énorme
Se débatant come un nageur,

Et lutant, angoisses funèbres!
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant come les fous
Et pirouétant dans les ténèbres;

Un maleureus ensorcelé
Dans ses tâtonements futiles,
Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé;

Un damné descendant sans lampe,
Au bord d'un goufre dont l'odeur
Trahit l'umide profondeur,
D'éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueus
Dont les larges ieus de fosfore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu'eus;

Un navire pris dans le pôle,
Come en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cète geôle;

--Emblèmes nets, tableau parfait
D'une fortune irémédiable,
Qui done à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu'il fait!

 

II

Tête-à-tête sombre et limpide
Qu'un queur devenu son miroir
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,

Un fare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
--La conscience dans le Mal!

 

L'ORLOGE

Orloge dieu sinistre, éfrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton queur plein d'éfroi
Se planteront bientôt come dans une cible;

Le Plaisir vaporeus fuira vers l'orizon
Ainsi qu'une silfide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque ome acordé pour toute sa saison.

Trois mile six cents fois par eure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi!--Rapide, avec sa vois
D'insecte, Maintenant dit: Je sais Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe imonde!

Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.
Le jour décroit; la nuit augmente, souviens-toi!
Le goufre a toujours soif; la clepsidre se vide.

Tantôt sonera l'eure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira: Meurs, vieus lâche! il est trop tard! »

 

TABLEAUS PARISIENS

 

LE SOLEIL

Le long du vieus faubourg, où pendant aus masures
Les persiènes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frape à traits redoublés
Sur la vile et les champs, sur les toits et les blés.
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime.
Trébuchant sur les mots come sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nouricier, ènemi des cloroses,
Eveille dans les champs les vers come les roses;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaus et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et dous come des jeunes filles,
Et comande aus moissons de croitre et de murir
Dans le queur imortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les viles,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les ôpitaus et dans tous les palais.

 

LA LUNE OFFENSEE

O Lune qu'adoraient discrètement nos pères,
Du haut des pays bleus où, radieus sérail,
Les astres vont te suivre en pimpant atirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,

Vois-tu les amoureus sur leurs grabats prospères,
De leur bouche en dormant montrer le frais émail?
Le poète buter du front sur son travail?
Où sous les gazons secs s'acoupler les vipères?

Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin,
Vas-tu, come jadis, du soir jusqu'au matin,
Baiser d'Endimion les grâces suranées?

« --Je vois ta mère, enfant de ce siècle apauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d'anées,
Et plâtre artistement le sein qui t'a nouri! »

 

A UNE MENDIANTE ROUSSE

Blanche fille aus cheveus rous,
Dont ta robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
    Et la beauté,

Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif
Plein de taches de rousseur
    A sa douceur.

Tu portes plus galament
Qu'une reine de roman
Ses coturnes de velours
    Tes sabots lourds.

Au lieu d'un haillon trop court,
Qu'un superbe abit de cour
Traine à plis bruyants et longs
    Sur tes talons;

Et place de bas troués,
Que pour les ieus des roués
Sur ta jambe un poignard d'or
    Reluise encor;

Que des neuds mal atachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deus beaus seins, radieus
    Come des ieus;

Que pour te désabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins
    Les doigts lutins;

--Perles de la plus bèle eau,
Sonets de maitre Belleau
Par tes galants mis aus fers
    Sans cesse oferts,

Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
    Sous l'escalier,

Maint page épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Epieraient pour le déduit
    Ton frais réduit!

Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis
Et rangerais sous tes lois
    Plus d'un Valois!

--Cependant tu vas gueusant
Quelque vieus débris gisant
Au seuil de quelque Véfour
    De carefour;

Tu vas lorgnant en dessous
Des bijous de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh! pardon!
    Te faire don;

Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
    O ma beauté!

 

LE CIGNE

 

A VICTOR HUGO

I

Andromaque, je pense à vous!--Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'imense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Come je traversais le nouveau Carousel.
--Le vieus Paris n'est plus (la forme d'une vile
Change plus vite, hélas! que le queur d'un mortel);

Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaus ébauchés et de futs,
Les erbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques
Et, brillant aus careaus, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie;
Là je vis, un matin, à l'eure où sous les cieus
Clairs et froids le Travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieus,

Un cigne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frotant le pavé sec,
Sur le sol raboteus trainait son grand plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec,

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le queur plein de son beau lac natal:
« Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,
Je vois ce maleureus, mite étrange et fatal, foudre?

Vers le ciel quelquefois, come l'ome d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruèlement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Come s'il adressait des reproches à Dieu!

 

II

Paris change, mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieus faubourgs, tout pour moi devient alégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'oprime:
Je pense à mon grand cigne, avec ses gestes fous,
Come les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d'un désir sans trêve! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand épous tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée;
Veuve d'Hector, hélas! et femme d'Hélénus!

Je pense à la négresse, amaigrie et ftisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'euil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Dérière la muraille imense du brouillard;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais! jamais! à ceus qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur come une bone louve!
Aus maigres orfelins séchant come des fleurs!

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile
Un vieus Souvenir sone à plein soufle du cor!
Je pense aus matelots oubliés dans une ile,
Aus captifs, aus vaincus!... à bien d'autres encor!

 

LES SEPT VIEILLARDS

 

A VICTOR HUGO

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour racroche le passant!
Les mistères partout coulent come des sèves
Dans les canaus étroits du colosse puissant.

Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume alongeait la hauteur,
Simulaient les deus quais d'une rivière acrue,
Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,

Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs come un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaus.

Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieus,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses ieus,

M'aparut. On eût dit sa prunèle trempée
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide come une épée,
Se projetait, pareille à cèle de Judas.

Il n'était pas vouté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donait la tournure et le pas maladroit

D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pates.
Dans la neige et la boue il alait s'empêtrant,
Come s'il écrasait des morts sous ses savates,
Ostile à l'univers plutôt qu'indiférent.

Son pareil le suivait: barbe, euil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconu.

A quel complot infâme étais-je donc en bute,
Ou quel méchant hasard ainsi m'umiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!

Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideus avaient l'air éternel!

Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième,
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoutant Fénix, fils et père de lui-même?
--Mais je tournai le dos au cortège infernal.

Exaspéré come un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreus et trouble,
Blessé par le mistère et par l'absurdité!

Vainement ma raison voulait prendre la bare;
La tempête en jouant déroutait ses éforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabare
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords!

 

LES PETITES VIEILLES

 

A VICTOR HUGO

I

Dans les plis sinueus des vieilles capitales,
Où tout, même l'oreur, tourne aus enchantements,
Je guète, obéissant à mes umeurs fatales,
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Eponine ou Laïs!--Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagélés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et sérant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus;

Ils trotent, tout pareils à des marionètes;
Se trainent, come font les animaus blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonètes
Où se pend un Démon sans pitié! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des ieus perçants come une vrille,
Luisants come ces trous où l'eau dort dans la nuit;
Ils ont les ieus divins de la petite fille
Qui s'étone et qui rit à tout ce qui reluit.

--Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un simbole d'un gout bizare et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau;

A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boite où l'on met tous ces corps.

--Ces ieus sont des puits faits d'un milion de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces ieus mistérieus ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita!

 

II

De l'ancien Frascati Vestale énamourée;
Prêtresse de Thalie, hélas! dont le soufleur
Défunt, seul, sait le nom; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent! mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel,
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes:
« Ipogrife puissant, mène-moi jusqu'au ciel! »

L'une, par sa patrie au maleur exercée,
L'autre, que son épous surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs!

 

III

Ah! que j'en ai suivi, de ces petites vieilles!
Une, entre autres, à l'eure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs dor où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au queur des citadins.

Cèle-là droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guérier;
Son euil parfois s'ouvrait come l'euil d'un vieil aigle;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier!

 

IV

Tèles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le caos des vivantes cités,
Mères au queur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconait! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyer les murs,
Et nul ne vous salue, étranges destinées!
Débris d'umanité pour l'éternité murs!

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L'euil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout come si j'étais votre père, ô merveille!
Je goute à votre insu des plaisirs clandestins:

Je vois s'épanouir vos passions novices;
Sombres ou lumineus, je vis vos jours perdus;
Mon queur multiplié jouit de tous vos vices!
Mon âme resplendit de toutes vos vertus!

Ruines! ma famille! ô cerveaus congénères!
Je vous fais chaque soir un solennel adieu!
Où serez-vous demain, Eves octogénaires,
Sur qui pèse la grife éfroyable de Dieu?

 

A UNE PASSANTE

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé come un extravagant,
Dans son euil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit!--Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaitre,
Ne te vérai-je plus que dans l'éternité?

Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!

 

LE CREPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel;
Il vient come un complice, à pas de loup; le ciel
Se ferme lentement come une grande alcôve,
Et l'ome impatient se change en bête fauve.

O soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'ui
Nous avons travaillé!--C'est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s'alourdit,
Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.

Cependant des démons malsains dans l'atmosfère
S'éveillent lourdement, come des gens d'afaire,
Et cognent en volant les volets et l'auvent.
A travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s'alume dans les rues;
Come une fourmilière èle ouvre ses issues;

Partout èle se fraye un oculte chemin,
Ainsi que l'ènemi qui tente un coup de main;
Èle remue au sein de la cité de fange
Come un ver qui dérobe à l'Ome ce qu'il mange.
On entend ça et là les cuisines sifler,
Les téâtres glapir, les orquestres ronfler;
Les tables d'ôte, dont le jeu fait les délices,
S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt comencer leur travail, eus aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maitresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C'est l'eure où les douleurs des malades s'aigrissent!
La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent
Leur destinée et vont vers le goufre comun;
L'ôpital se remplit de leurs soupirs.--Plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais conu
La douceur du foyer et n'ont jamais vécu!

 

LE JEU

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, l'euil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pière et de métal;

Autour des verts tapis des visages sans lèvre,
Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreus de poètes ilustres
Qui viènent gaspiller leurs sanglantes sueurs:

--Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon euil clairvoyant,
Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne,
Je me vis acoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vieilles putains la funèbre gaité,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L'un de son vieil oneur, l'autre de sa beauté!

Et mon queur s'éfraya d'envier maint pauvre ome
Courant avec ferveur à l'abime béant,
Et qui, soul de son sang, préfèrerait en some
La douleur à la mort et l'enfer au néant!

 

DANSE MACABRE

 

A ERNEST CHRISTOPHE

Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature,
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,
Èle a la nonchalance et la désinvolture
D'une coquète maigre aus airs extravagants.

Vit-on jamais au bal une taille plus mince?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S'écroule abondament sur un pied sec que pince
Un soulier pomponé, joli come une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Come un ruisseau lascif qui se frote au rocher,
Défend pudiquement des lazi ridicules
Les funèbres apâts qu'èle tient à cacher.

Ses ieus profonds sont faits de vide et de ténèbres
Et son crâne, de fleurs artistement coifé,
Oscile molement sur ses frêles vertèbres.
--O charme d'un néant folement atifé!

Aucuns t'apèleront une caricature,
Qui ne comprènent pas, amants ivres de chair,
L'élégance sans nom de l'umaine armature.
Tu réponds, grand squelète, à mon gout le plus cher!

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie? ou quelque vieus désir,
Eperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabat du Plaisir?

Au chant des violons, aus flames des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torent des orgies
De refraîchir l'enfer alumé dans ton queur?

Inépuisable puits de sotise et de fautes!
De l'antique douleur éternel alambic!
A travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, érant encor, l'insatiable aspic.

Pour dire vrai, je crains que ta coquèterie
Ne trouve pas un pris digne de ses éforts:
Qui, de ces queurs mortels, entend la raillerie?
Les charmes de l'oreur n'enivrent que les forts.

Le goufre de tes ieus, plein d'oribles pensées,
Exalte le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d'amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deus dents.

Pourtant, qui n'a séré dans ses bras un squelète,
Et qui ne s'est nouri des choses du tombeau?
Qu'importé le parfum, l'abit ou la toilète?
Qui fait le dégouté montre qu'il se croit beau.

Bayadère sans nez, irésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les ofusqués:
« Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort! O squelètes musqués,

Antinoüs flétris, dandys à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraine en des lieus qui ne sont pas conus!

Des quais froids de la Seine aus bords brulants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompète de l'Ange
Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

En tout climat, sous ton soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Umanité,
Et souvent, come toi, se parfumant de mire,
Mêle son ironie à ton insanité! »

 

L'AMOUR DU MENSONGE

Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,
Au chant des instruments qui se brise au plafond,
Suspendant ton alure armonieuse et lente,
Et promenant l'ennui de ton regard profond;

Quand je contemple, aus feus du gaz qui le colore,
Ton front pâle, embéli par un morbide atrait,
Où les torches du soir alument une aurore,
Et tes ieus atirants come ceus d'un portrait,

Je me dis: Qu'èle est bèle! et bizarement fraiche!
Le souvenir massif, royale et lourde tour,
La courone, et son queur, meurtri come une pêche,
Est mûr, come son corps, pour le savant amour.

Es-tu le fruit d'automne aus saveurs souveraines?
Es-tu vase funèbre atendant quelques pleurs,
Parfum qui fait rêver aus oasis lointaines,
Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?

Je sais qu'il est des ieus, des plus mélancoliques,
Qui ne recèlent point de secrets précieus;
Beaus écrins sans joyaus, médaillons sans reliques,
Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieus!

Mais ne sufit-il pas que tu sois l'aparence,
Pour réjouir un queur qui fuit la vérité?
Qu'importe ta bêtise ou ton indiférence?
Masque ou décor, salut! J'adore ta beauté.

Je n'ai pas oublié, voisine de la vile,
Notre blanche maison, petite mais tranquile,
Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus
Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus;
Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,
Qui, dérière la vitre où se brisait sa gerbe,
Semblait, grand euil ouvert dans le ciel curieus,
Contempler nos diners longs et silencieus,
Répandant largement ses beaus reflets de cierge
Sur la nape frugale et les rideaus de serge.

La servante au grand queur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son someil sous une umble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs,
Et quand Octobre soufle, émondeur des vieus arbres,
Son vent mélancolique à, l'entour de leurs marbres,
Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
De dormir, come ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bones causeries,
Vieus squelètes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égouter les neiges de l'iver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaus qui pendent à leur grille.

Lorsque la buche sifle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s'assoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son euil maternel,
Que pourais-je répondre à cète âme pieuse
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?

 

BRUMES ET PLUIES

O fins d'automne, ivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons! je vous aime et vous loue
D'enveloper ainsi mon queur et mon cerveau
D'un linceul vaporeus et d'un vague tombeau.

Dans cète grande plaine où l'autan froid se joue,
Où par les longues nuits la girouète s'enroue,
Mon âme mieus qu'au temps du tiède renouveau
Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

Rien n'est plus dous au queur plein de choses funèbres,
Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,
O blafardes saisons, reines de nos climats!

Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,
--Si ce n'est par un soir sans lune, deus à deus,
D'endormir la douleur sur un lit hasardeus.

 

LE VIN

 

L'AME DU VIN

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles:
« Ome, vers toi je pousse, ô cher désérité,
Sous ma prison de vère et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité!

Je sais combien il faut, sur la coline en flame,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me doner l'âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j'éprouve une joie imense quand je tombe
Dans le gosier d'un ome usé par ses travaus,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieus que dans mes froids caveaus.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content:

J'alumerai les ieus de ta femme ravie;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle atlète de la vie
L'uile qui rafermit les muscles des luteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieus jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu come une rare fleur! »

 

LE VIN DES CHIFONIERS

Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère
Dont le vent bat la flame et tourmente le vère.
Au queur d'un vieus faubourg, labirinte fangeus,
Où l'umanité grouille en ferments orageus,

On voit un chifonier qui vient, hochant la tête,
Buttant, et se cognant aus murs come un poète,
Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Epanche tout son queur en glorieus projets.

Il prête des serments, dicte des lois sublimes,
Térasse les méchants, relève les victimes,
Et sous le firmament come un dais suspendu
S'enivre des splendeurs de sa propre vertu.

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus par le travail et tourmentés par l'âge,
Ereintés et pliant sous un tas de débris,
Vomissement confus de l'énorme Paris,

Reviènent, parfumés d'une odeur de futailles,
Suivis de compagnons blanchis dans les batailles,
Dont la moustache pend come les vieus drapeaus!
Les banières, les fleurs et les arcs trionfaus

Se dressent devant eus, solennèle magie!
Et dans l'étourdissante et lumineuse orgie
Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,
Ils aportent la gloire au peuple ivre d'amour!

C'est ainsi qu'à travers l'Umanité frivole
Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole;
Par le gosier de l'ome il chante ses exploits
Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.

Pour noyer la ranqueur et bercer l'indolence
De tous ces vieus maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le someil;
L'Ome ajouta le Vin, fils sacré du Soleil!

 

LE VIN DE L'ASSASSIN

Ma femme est morte, je suis libre!
Je puis donc boire tout mon soul.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu'un roi je suis eureus;
L'air est pur, le ciel admirable...
--Nous avions un été semblable
Lorsque je devins amoureus!

--L'orible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s'assouvir
D'autant de vin qu'en peut tenir
Son tombeau;--ce n'est pas peu dire

Je l'ai jetée au fond d'un puits,
Et j'ai même poussé sur èle
Tous les pavés de la margèle.
--Je l'oublierai si je le puis!

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Come au beau temps de notre ivresse,

J'implorai d'èle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure,
Èle y vint! fole créature!
--Nous somes tous plus ou moins fous!

Èle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée! et moi,
Je l'aimai trop;--voilà pourquoi
Je lui dis: sors de cète vie!

Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
A faire du vin un linceul?

Cète crapule invulnérable
Come les machines de fer,
Jamais, ni l'été ni l'iver,
N'a conu l'amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d'alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaine et d'ossements!

--Me voilà libre et solitaire!
Je serai ce soir ivre-mort;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la tère,

Et je dormirai come un chien.
Le chariot aus lourdes roues
Chargé de pières et de boues,
Le wagon enrayé peut bien

Ecraser ma tête coupable,
Ou me couper par le milieu,
Je m'en moque come de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table!

 

LE VIN DU SOLITAIRE

Le regard singulier d'une femme galante
Qui se glisse vers nous come le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand èle y veus baigner sa beauté nonchalante,

Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur,
Un baiser libertin de la maigre Adeline,
Les sons d'une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l'umaine douleur,

Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au queur altéré du poète pieus;

Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,
--Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend trionfants et semblables aus Dieus.

 

LE VIN DES AMANTS

Aujourd'ui l'espace est splendide!
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin!

Come deus anges que torture
Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain!

Molement balancés sur l'aile
Du tourbillon intéligent,
Dans un délire paralèle,

Ma seur, côte à côte nageant,
Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves!

 

UNE MARTIRE

 

DESSIN D'UN MAITRE INCONU

Au milieu des flacons, des étofes lamées
    Et des meubles voluptueus,
Des marbres, des tableaus, des robes parfumées
    Qui trament à plis sompteux,

Dans une chambre tiède où, come en une sère,
    L'air est dangereus et fatal,
Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de vère,
    Exalent leur soupir final,

Un cadavre sans tête épanche, come un fleuve,
    Sur l'oreiller désaltéré
Un sang rouge et vivant, dont la toile s'abreuve
    Avec l'avidité d'un pré.

Semblable aus visions pâles qu'enfante l'ombre
    Et qui nous enchainent les ieus,
La tête, avec l'amas de sa crinière sombre
    Et de ses bijous précieus,

Sur la table de nuit, come une renoncule,
    Repose, et, vide de pensers,
Un regard vague et blanc come le crépuscule
    S'échape des ieus révulsés.

Sur le lit, le tronc nu sans scrupule étale
    Dans le plus complet abandon
La secrète splendeur et la beauté fatale
    Dont la nature lui fit don;

Un bas rosâtre, orné de coins d'or, à la jambe
    Come un souvenir est resté;
La jaretière, ainsi qu'un euil secret qui flambe,
    Darde un regard diamanté.

Le singulier aspect de cète solitude
    Et d'un grand portrait langoureus,
Aus ieus provocateurs come son atitude,
    Révèle un amour ténébreus,

Une coupable joie et des fêtes étranges
    Pleines de baisers infernaus.
Dont se réjouissait l'essaim de mauvais anges
    Nageant dans les plis des rideaus;

Et cependant, à voir la maigreur élégante
    De l'épaule au contour heurté,
La hanche un peu pointue et la taille fringante
    Ainsi qu'an reptile irité,

Èle est bien jeune encor!--Son âme exaspérée
    Et ses sens par l'ennui mordus
S'étaient-ils entr'ouverts à la meute altérée
    Des désirs érants et perdus?

L'ome vindicatif que tu n'as pu, vivante,
    Malgré tant d'amour, assouvir,
Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante
    L'imensité de son désir?

Réponds, cadavre impur! et par tes tresses roides
    Te soulevant d'un bras fiévreus,
Dis-moi, tête éfrayante, as-tu sur tes dents froides,
    Colé les suprêmes adieus?

--Loin du monde railleur, loin de la foule impure,
    Loin des magistrats curieus,
Dors en pais, dors en pais, étrange créature,
    Dans ton tombeau mistérieus;

Ton épous court le monde, et ta forme imortèle
    Veille près de lui quand il dort;
Autant que toi sans doute il te sera fidèle,
    Et constant jusques à la mort.

 

FEMMES DAMNEES

Come un bétail pensif sur le sable couchées,
Èles tournent leurs ieus vers l'orizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains raprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers:

Les unes, queurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaus,
Vont épelant l'amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaus;

D'autres, come des seurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d'aparitions,
Où saint Antoine a vu surgir come des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations;

Il en est, aus lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creus muet des vieus antres païens
T'apèlent au secours de leurs fièvres hurlantes,
O Bacchus, endormeur des remords anciens!

Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recelant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent dans le bois sombre et les nuits solitaires
L'écume du plaisir aus larmes des tourments.

O vierges, ô démons, ô monstres, ô martires,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d'infini, dévotes et satires,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres seurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d'amour dont vos grands queurs sont pleins!

 

LES DEUS BONES SEURS

La Débauche et la Mort sont deus aimables filles,
Prodigues de baisers et riches de santé,
Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles
Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté.

Au poète sinistre, ènemi des familles.
Favori de l'enfer, courtisan mal renté,
Tombeaus et lupanars montrent sous leurs charmiles
Un lit que le remords n'a jamais fréquenté.

Et la bière et l'alcôve en blasfèmes fécondes
Nous ofrent tour à tour, come deus bones seurs,
De téribles plaisirs et d'afreuses douceurs.

Quand veus-tu m'entérer, Débauche aus bras imondes?
O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en atraits,
Sur ses mirtes infects entre tes noirs ciprès?

 

ALLEGORIE

C'est une femme bèle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin trainer sa chevelure.
Les grifes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Èle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours grate et fauche,
Dans ses jeus destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Èle marche en déesse et repose en sultane;
Èle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts que remplissent ses seins,
Èle apèle des ieus la race des umains.
Èle croit, èle sait, cète vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arache le pardon;
Èle ignore l'Enfer come le Purgatoire,
Et, quand l'eure viendra d'entrer dans la Nuit noire,
Èle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu'un nouveau-né,--sans haine et sans remord.

 

UN VOYAGE A CYTHERE

Mon queur, come un oiseau, voltigeait tout joyeus
Et planait librement à l'entour des cordages;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages,
Come un ange enivré du soleil radieus.

Quèle est cète ile triste et noire?--C'est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameus dans les chansons,
Eldorado banal de tous les vieus garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre tère.

--Il des dous secrets et des fêtes du queur!
De l'antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane come un arome,
Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Bèle ile aus mirtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des queurs en adoration
Roulent come l'encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier
--Cythère n'était plus qu'un térain des plus maigres,
Un désert rocailleus troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier;

Ce n'était pas un temple aus ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Alait, le corps brulé de secrètes chaleurs,
Entre-bâillant sa robe aus brises passagères;

Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près
Pour troubler les oiseaus avec nos voiles blanches
Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,
Du ciel se détachant en noir, come un ciprès.

De féroces oiseaus perchés sur leur pâture
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,
Chacun plantant, come un outil, son bec impur
Dans tous les coins saignants de cète pouriture;

Les ieus étaient deus trous, et du ventre éfondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,
Et ses boureaus gorgés de hideuses délices
L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jalous quadrupèdes,
Le museau relevé, tournoyait et rôdait;
Une plus grande bête au milieu s'agitait
Come un exécuteur entouré de ses aides.

Abitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,
Silencieusement tu soufrais ces insultes
En expiation de tes infâmes cultes
Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miènes!
Je sentis à l'aspect de tes membres flotants,
Come un vomissement, remonter vers mes dents
Le long fleuve de fiel des douleurs anciènes;

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaus lancinants et des pantères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

--Le ciel était charmant, la mer était unie;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas! et j'avais, come en un suair épais,
Le queur enseveli dans cète alégorie.

Dans ton ile, ô Vénus! je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet simbolique où pendait mon image.
--Ah! Seigneur! donez-moi la force et le courage
De contempler mon queur et mon corps sans dégout!

 

RÉVOLTE

 

ABEL ET CAÏN

I

Race d'Abel, dors, bois et mange:
Dieu le sourit complaisament,

Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.

Race d'Abel, ton sacrifice
Flate le nez du Sérafin!

Race de Caïn, ton suplice
Aura-t-il jamais une fin?

Race d'Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien;

Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim come un vieus chien.

Race d'Abel, chaufe ton ventre
A ton foyer patriarcal;

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal!
Race d'Abel, aime et pulule:
Ton or fait aussi des petits;

Race de Caïn, queur qui brule,
Prends garde à ces grands apétits.

Race d'Abel, tu croîs et broutes
Come les punaises des bois!

Race de Caïn, sur les routes
Traine ta famille aus abois.

 

II

Ah! race d'Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!

Race de Caïn, ta besogne
N'est pas faite sufisament;

Race d'Abel, voici ta honte:
Le fer est vaincu par l'épieu!

Race de Caïn, au ciel monte
Et sur la tère jète Dieu!

 

LES LITANIES DE SATAN

O toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

O Prince de l'exil, à qui l'on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui sais tout, grand roi des choses soutéraines,
Guérisseur familier des angoisses umaines,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, même aus lépreus, aus parias maudits,
Enseignes par l'amour le gout du Paradis,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

O toi, qui de la Mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l'Espérance,--une fole charmante!

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d'un échafaud,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui sais en quel coin des tères envieuses
Le Dieu jalous cacha les pières précieuses,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi dont l'euil clair conait les profonds arsenaus
Où dort enseveli le peuple des métaus,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule érant au bord des édifices,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, magiquement, assouplis les vieus os
De l'ivrogne atardé foulé par les chevaus,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, pour consoler l'ome frêle qui soufre,
Nous apris à mêler le salpêtre et le soufre.

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,
Sur le front du Crésus impitoyable et vil,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui mets dans les ieus et dans le queur des filles
Le culte de la plaie et l'amour des guenilles,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

Père adoptif de ceus qu'en sa noire colère
Du Paradis térestre a chassés Dieu le Père,
O Satan, prends pitié de ma longue misère!

 

PRIÉRE

Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l'Enfer où, vaincu, tu rêves en silence!
Fais que mon âme un jour, sous l'Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l'eure où sur ton front
Come un Temple nouveau ses rameaus s'épandront!

 

LA MORT

 

LA MORT DES AMANTS

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds come des tombeaus,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieus plus beaus.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deus queurs seront deus vastes flambeaus,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deus esprits, ces miroirs jumeaus.

Un soir fait de rose et de bleu mistique,
Nous échangerons un éclair unique,
Come un long sanglot, tout chargé d'adieus;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeus,
Les miroirs ternis et les flames mortes.

 

LA MORT DES PAUVRES

C'est la Mort qui console, hélas! et qui fait vivre;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, come un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous done le queur de marcher jusqu'au soir;

A travers la tempête, et la neige et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre orizon noir;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on poura manger, et dormir, et s'assoir;

C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le someil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;

C'est la gloire des Dieus, c'est le grenier mistique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieus inconus!

 

LE REVE D'UN CURIEUS

Conais-tu, come moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire: « Oh! l'ome singulier! »
--J'alais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'oreur, un mal particulier;

Angoisse et vif espoir, sans umeur factieuse.
Plus alait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse;
Tout mon queur s'arachait au monde familier.

J'étais come l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau come on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla:

J'étais mort sans surprise, et la térible aurore
M'enveloppait.--Eh quoi! n'est-ce donc que cela?
La toile était levée et j'atendais encore.

 

LE VOYAGE

 

A MAXIME DU CAMP

I

Pour l'enfant, amoureus de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste apétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aus ieus du souvenir que le monde est petit!

Un matin nous partons, le cerveau plein de flame,
Le queur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous alons, suivant le ritme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers:

Les uns, joyeus de fuir une patrie infâme;
D'autres, l'oreur de leurs berceaus, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les ieus d'une femme,
La Circé tiranique aus dangereus parfums.

Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieus embrasés;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Éfacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceus-là seuls qui partent
Pour partir; queurs légers, semblables aus balons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Alons!

Ceus-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconues,
Et dont l'esprit umain n'a jamais su le nom!

 

II

Nous imitons, oreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos someils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Come un Ange cruel qui fouète des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nule part, peut être n'importe où!
Où l'Ome, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours come un fou!

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;
Une vois retentit sur le pont: « Ouvre l'euil! »
Une vois de la hune, ardente et fole, crie:
« Amour... gloire... boneur! » Enfer! c'est un écueil!

Chaque ilot signalé par l'ome de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récit aus clartés du matin.

O le pauvre amoureus des pays chimériques!
Faut-il le mètre aus fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
Dont le mirage rend le goufre plus amer?

Tel le vieus vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis;
Son euil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandèle ilumine un taudis.

 

III

Etonnants voyageurs! quèles nobles istoires
Nous lisons dans vos ieus profonds come les mers!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Les bijous merveilleus, faits d'astres et d'éters.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus come une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'orizons.

Dites, qu'avez-vous vu?

 

IV

                         « Nous avons vu des astres
Et des flots; nous avons vu des sables aussi;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous somes souvent ennuyés, come ici.

La gloire du soleil sur la mer violète,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Alumaient dans nos queurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet aléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'atrait mistérieus
De ceus que le hasard fait avec les nuages,
Et toujours le désir nous rendait soucieus!

--La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près!

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le ciprès?--Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!

Nous avons salué des idoles à trompe;
Des trônes constélés de joyaus lumineus;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineus;

Des costumes qui sont pour les ieus une ivresse;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

V

Et puis, et puis encore?

 

VI

                         « O cerveaus enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échèle fatale,
Le spectacle ennuyeus de l'imortel péché:

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégout:
L'ome, tiran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout;

Le boureau qui jouit, le martir qui sanglote;
La fête qu'assaisone et parfume le sang;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureus du fouet abrutissant;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
Come en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté;

L'Umanité bavarde, ivre de son génie,
Et, fole maintenant come èle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
« O mon semblable, ô mon maitre, je te maudis! »

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'opium imense!
--Tel est du globe entier l'éternel buletin. »

 

VII

Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd'ui,
Ier, demain, toujours, nous fait voir notre image;
Une oasis d'oreur dans un désert d'ennui!

Faut-il partir? rester? Si tu peus rester, reste;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ènemi vigilant et funeste,
Le Temps! Il est, hélas! des coureurs sans répit,

Come le Juif érant et come les apôtres,
A qui rien ne sufit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quiter leur berceau.

Lorsque enfin il métra le pied sur notre échine,
Nous pourons espérer et crier: En avant!
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les ieus fixés an large et les cheveus au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le queur joyeus d'un jeune passager.
Entendez-vous ces vois, charmantes et funèbres,
Qui chantent: « Par ici! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeus dont votre queur a faim;
Venez vous enivrer de la couleur étrange
De cète après-midi qui n'a jamais de fin? »

A l'accent familier nous devinons le spectre;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
« Pour rafraichir ton queur nage vers ton Electre! »
Dit cèle dont jadis nous baisions les genous.

 

VIII

O Mort, vieus capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Apareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs come de l'encre,
Nos queurs que tu conais sont remplis de rayons!

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brule le cerveau,
Plonger au fond du goufre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconu pour trouver du nouveau!

 

PIÉCES CONDAMNÉES

 

LES BIJOUS

La très chère était nue, et, conaissant mon queur,
Èle n'avait gardé que ses bijous sonores,
Dont le riche atirail lui donait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours eureus les esclaves des Maures

Quand il jète en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonant de métal et de pière
Me ravit en extase, et j'aime avec fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Èle était donc couchée, et se laissait aimer,
Et du haut du divan èle souriait d'aise
A mon amour profond et dous come la mer
Qui vers èle montait come vers sa falaise.

Les ieus fixés sur moi, come un tigre dompté,
D'un air vague et rêveur èle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donait un charme neuf à ses métamorfoses.

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis come de l'uile, onduleus come un cigne,
Passaient devant mes ieus clairvoyants et sereins;
Et son ventre et ses seins, ces grapes de ma vigne

S'avançaient plus câlins que les anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal,
Où calme et solitaire èle s'était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe!

--Et la lampe s'étant résignée à mourir,
Come le foyer seul iluminait la chambre,
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cète peau couleur d'ambre!

 

LE LETHE

Viens sur mon queur, âme cruèle et sourde,
Tigre adoré, monstre aus airs indolents;
Je veus longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'épaisseur de ta crinière lourde;

Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, come une fleur flétrie,
Le dous relent de mon amour défunt.

Je veus dormir! dormir plutôt que vivre!
Dans un someil, douteus come la mort,
J'étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli come le cuivre.

Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abime de ta couche;
L'oubli puissant abite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.

A mon destin, désormais mon délice,
J'obéirai come un prédestiné;
Martir docile, inocent condamné,
Dont la ferveur atise le suplice,

Je sucerai, pour noyer ma ranqueur,
Le népentès et la bone cigüe
Aus bouts charmants de cète gorge aigüe
Qui n'a jamais emprisoné de queur.

 

A CÈLE QUI EST TROP GAIE

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaus come un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Come un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit come une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilètes
Jètent dans l'esprit des poètes
L'image d'un balet de fleurs.

Ces robes foles sont l'emblème
De ton esprit bariolé;
Fole dont je suis afolé,
Je te hais autant que je t'aime!

Quelquefois dans un beau jardin,
Où je trainais mon atonie,
J'ai senti come une ironie
Le soleil déchirer mon sein;

Et le printemps et la verdure
Ont tant umilié mon queur
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la nature.

Ainsi, je voudrais, une nuit,
Quand l'eure des voluptés sone,
Vers les trésors de ta persone
Come un lâche ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardoné,
Et faire à ton flanc étoné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur!
A travers ces lèvres nouvèles,
Plus éclatantes et plus bèles,
T'infuser mon venin, ma seur!

 

LESBOS

Mère des jeus latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers languissants ou joyeus,
Chauds come les soleils, frais come les pastèques,
Font l'ornement des nuits et des jours glorieus,
--Mère des jeus latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers sont come les cascades
Qui se jètent sans peur dans les goufres sans fonds
Et courent, sanglotant et gloussant par sacades,
--Orageus et secrets, fourmillants et profonds;
Lesbos, où les baisers sont come les cascades!

Lesbos où les Phrynés l'une l'autre s'atirent,
Où jamais un soupir ne resta sans éco,
A l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho!
--Lesbos où les Phrynés l'une l'autre s'atirent.

Lesbos, tère des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté,
Les filles aus ieus creus, de leurs corps amoureuses,
Caressent les fruits murs de leur nubilité,
Lesbos, tère des nuits chaudes et langoureuses,

Laisse du vieus Platon se froncer l'euil austère;
Tu tires ton pardon de l'excès des baisers,
Reine du dous empire, aimable et noble tère,
Et des rafinements toujours inépuisés.
Laisse du vieus Platon se froncer l'euil austère.

Tu tires ton pardon de l'éternel martire
Infligé sans relâche aus queurs ambitieus
Qu'atiré loin de nous le radieus sourire
Entrevue vaguement au bord des autres cieus;
Tu tires ton pardon de l'éternel martire!

Qui des Dieus osera, Lesbos, être ton juge,
Et condamner ton front pâli dans les travaus,
Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge
De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaus?
Qui des Dieus osera, Lesbos, être ton juge?

Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?
Vierges au queur sublime, oneur de l'archipel,
Votre religion come une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'enfer et du ciel!
--Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?

Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la tère
Pour chanter le secret de ses vierges en fleur,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mistère
Des rires éfrénés mêlés au sombre pleur;,
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la tère,

Et depuis lors je veille au somet de Leucate,
Come une sentinèle, à l'euil perçant et sûr,
Qui guète nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonent dans l'azur,
--Et depuis lors je veille au somet de Leucate

Pour savoir si la mer est indulgente et bone,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos qui pardone
Le cadavre adoré de Sapho qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bone!

De la mâle Sapho, l'amante et le poète,
Plus bèle que Vénus par ses mornes pâleurs!
--L'euil d'azur est vaincu par l'euil noir que tachète
Le cercle ténébreus tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l'amante et le poète!

--Plus bèle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité
Et le rayonement de sa jeunesse blonde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté;
Plus bèle que Vénus se dressant sur le monde!

--De Sapho qui mourut le jour de son blasfème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Èle fit son beau corps la pâture suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété
De Sapho qui mourut le jour de son blasfème.

Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les oneurs que lui rend l'univers,
S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les deus ses rivages déserts.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente!

 

FEMMES DAMNEES

A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur,
Hippolyte rêvait aus caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.

Èle cherchait d'un euil troublé par la tempête
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tête
Vers les orizons bleus dépassés le matin.

De ses ieus amortis les paresseuses larmes,
L'air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés come de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.

Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des ieus ardents,
Come un animal fort qui surveille une proie,
Après l'avoir d'abord marquée avec les dents.

Beauté forte à genous devant la beauté frêle,
Superbe, èle humait voluptueusement
Le vin de son trionfe, et s'alongeait vers èle
Come pour recueillir un dous remercîment.

Èle cherchait dans l'euil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir
Et cète gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir:

--« Hippolyte, cher queur, que dis-tu de ces choses?
Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas ofrir
L'olocauste sacré de tes premières roses
Aus soufles violents qui pouraient les flétrir?

Mes baisers sont légers come ces éfémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceus de ton amant creuseront leurs ornières
Come des chariots ou des socs déchirants;

Ils passeront sur toi come un lourd atelage
De chevaus et de beufs aus sabots sans pitié...
Hippolyte, ô ma seur! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon queur, mon tout et ma moitié,

Tourne vers moi tes ieus pleins d'azur et d'étoiles!
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un rêve sans fin! »

Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête:
--« Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je soufre et je suis inquiète,
Come après un nocturne et térible repas.

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un orizon sanglant ferme de toutes parts.

Avons-nous donc comis une action étrange?
Expliques, si tu peus, mon trouble et mon éfroi:
Je frissone de peur quand tu me dis: mon ange!
Et cependant je sens ma bouche aler vers toi.

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée,
Toi que j'aime à jamais, ma seur d'élection,
Quand même tu serais une embuche dressée,
Et le comencement de ma perdition! »

Delphine secouant sa crinière tragique,
Et come trépignant sur le trépied de fer,
L'euil fatal, répondit d'une vois despotique:
--« Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer?

Maudit soit à jamais le rêveur inutile,
Qui voulut le premier dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aus choses de l'amour mêler l'onêteté!

Celui qui veut unir dans un acord mistique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chaufera jamais son corps paralitique
A ce rouge soleil que l'on nome l'amour!

Va, si tu veus, chercher un fiancé stupide;
Cours ofrir un queur vierge à ses cruels baisers;
Et, pleine de remords et d'oreur, et livide,
Tu me raporteras tes seins stigmatisés;

On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre! »
Mais l'enfant, épanchant une imense douleur,
Cria soudain: « Je sens s'élargir dans mon être
Un abime béant; cet abime est mon queur,

Brulant come un volcan, profond come le vide;
Rien ne ressasiera ce monstre gémissant
Et ne refraîchira la choif de l'Euménide,
Qui, la torche à la main, le brule jusqu'au sang.

Que nos rideaus fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos!
Je veus m'anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraicheur des tombeaus. »

Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer éternel;
Plongez au plus profond du goufre où tous les crimes,
Flagélés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonent pêlemêle avec un bruit d'orage;
Ombres foles, courez au but de vos désirs;
Jamais vous ne pourez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naitra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreus
Filent en s'enflamant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums afreus.

L'âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieus drapeau.

Loin des peuples vivants, érantes, condamnées,
A travers les déserts courez come les loups;
Faites votre destin, âmes désordonées,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous!

 

LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE

La femme cependant de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc:
--« Moi, j'ai la lèvre umide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins trionfants
Et fais rire les vieus du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!
Je suis, mon cher savant, si docte aus voluptés,
Lorsque j'étoufe un ome en mes bras veloutés,
Ou lorsque j'abandone aus morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâme d'émoi
Les Anges impuissants se damneraient pour moi! »

Quand èle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissament je me tournai vers èle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aus flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deus ieus dans ma froide épouvante,
Et, quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du manequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelète,
Qui d'eus-mêmes rendaient le cri d'une girouète
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'iver.