Et, quoique amis enfin, je suis tout des premiers…
J’ai fait jusques ici profession de l’être ;
Mais, après ce qu’en vous je viens de voir paraitre,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veus nule place en des queurs corompus.
Et tout ome d’oneur s’en doit scandaliser.
Je vous vois acabler un ome de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;
De protestations, d’ofres, et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements :
Et quand je vous demande après quel est cet ome,
À peine pouvez-vous dire come il se nome ;
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indiférent !
Morbleu ! c’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme ;
Et si, par un maleur, j’en avais fait autant,
Je m’irais, de regret, pendre tout à l’instant.
Que je me fasse un peu grâce sur votre arêt,
Et ne me pende pas pour cela, s’il vous plait.
On ne lâche aucun mot qui ne parte du queur.
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, come on peut, à ses empressements,
Et rendre ofre pour ofre, et serments pour serments.
Qu’afectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces afables doneurs d’embrassades frivoles[1],
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l’onête ome et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un ome vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n’est point d’âme un peu bien située
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donez dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un queur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune diférence ;
Je veus qu’on me distingue ; et, pour le trancher net,
L’ami du genre umain n’est point du tout mon fait.
Quelques dehors civils que l’usage demande.
Ce comerce honteus de semblants d’amitié.
Je veus que l’on soit ome, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre queur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;
Et parfois, n’en déplaise à votre austère oneur,
Il est bon de cacher ce qu’on a dans le queur.
Serait-il à propos, et de la bienséance,
De dire à mile gens tout ce que d’eus on pense ?
Et quand on a quelqu’un qu’on hait ou qui déplait
Lui doit-on déclarer la chose come èle est ?
Qu’à son âge il sied mal de faire la jolie ?
Et que le blanc qu’èle a scandalise chacun ?
À conter sa bravoure et l’éclat de sa race ?
Et je vais n’épargner persone sur ce point.
Mes ieus sont trop blessés, et la cour et la vile
Ne m’ofrent rien qu’objets à m’échaufer la bile ;
J’entre en une umeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eus les omes come ils font ;
Je ne trouve partout que lâche flaterie,
Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n’y puis plus tenir, j’enrage ; et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre umain.
Je ris des noirs accès où je vous envisage,
Et crois voir en nous deus, sous mêmes soins nouris,
Ces deus frères que peint l’École des maris,
Dont…
Le monde par vos soins ne se changera pas :
Et puisque la franchise a pour vous tant d’apâts,
Je vous dirai tout franc que cète maladie,
Partout où vous alez done la comédie ;
Et qu’un si grand courous contre les meurs du temps
Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.
Tous les omes me sont à tel point odieus,
Que je serais fâché d’être sage à leurs ieus.
Seront envelopés dans cète aversion ?
Encore en est-il bien, dans le siècle où nous somes…
Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aus méchants complaisants[3],
Et n’avoir pas pour eus ces haines vigoureuses
Que doit doner le vice aus âmes vertueuses.
De cète complaisance on voit l’injuste excès
Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès.
Au travers de son masque on voit à plein le traitre ;
Partout il est conu pour tout ce qu’il peut être ;
Et ses roulements d’ieus, et son ton radouci,
N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici.
On sait que ce pied-plat, digne qu’on le confonde,
Par de sales emplois s’est poussé dans le monde,
Et que par eus son sort, de splendeur revêtu,
Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteus qu’en tous lieus on lui done,
Son misérable oneur ne voit pour lui persone :
Nomez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,
Tout le monde en convient, et nul n’y contredit.
Cependant sa grimace est partout bienvenue ;
On l’acueille, on lui rit, partout il s’insinue ;
Et s’il est, par la brigue, un rang à disputer,
Sur le plus onête ome on le voit l’emporter.
Têtebleu ! ce me sont de mortèles blessures,
De voir qu’avec le vice on garde des mesures ;
Et parfois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l’aproche des umains.
Et faisons un peu grâce à la nature umaine ;
Ne l’examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.
Il faut, parmi le monde, une vertu traitable ;
À force de sagesse, on peut être blâmable ;
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l’on soit sage avec sobriété.
Cète grande raideur des vertus des vieus âges
Heurte trop notre siècle et les comuns usages ;
Èle veut aus mortels trop de perfection :
Il faut fléchir au temps sans obstination ;
Et c’est une folie à nule autre seconde,
De vouloir se mêler de coriger le monde.
J’observe, come vous, cent choses tous les jours,
Qui pouraient mieus aler, prenant un autre cours ;
Mais quoi qu’à chaque pas je puisse voir paraitre,
En courous come vous, on ne me voit point être ;
Je prends tout doucement les omes come ils sont ;
J’acoutume mon âme à soufrir ce qu’ils font,
Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la vile,
Mon flegme est filosofe autant que votre bile.
Ce flegme poura-t-il ne s’échaufer de rien ?
Et s’il faut, par hasard, qu’un ami vous trahisse,
Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice,
Ou qu’on tâche à semer de méchants bruits de vous,
Vérez-vous tout cela sans vous mètre en courous ?
Come vices unis à l’umaine nature ;
Et mon esprit enfin n’est pas plus ofensé
De voir un ome fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours afamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.
Tant ce raisonement est plein d’impertinence !
Contre votre partie éclatez un peu moins,
Et donez au procès une part de vos soins.
Et…
J’ai tort, ou j’ai raison.
Et peut, par sa cabale, entrainer…
Si les omes auront assez d’éfronterie,
Seront assez méchants, scélérats, et pervers,
Pour me faire injustice aus ieus de l’univers.
Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause[5].
Si l’on vous entendait parler de la façon.
Que vous voulez en tout avec exactitude,
Cète pleine droiture où vous vous renfermez,
La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez ?
Je m’étone, pour moi, qu’étant, come il le semble,
Vous et le genre umain, si fort brouillés ensemble,
Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieus,
Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos ieus[6] ;
Et ce qui me surprend encore davantage,
C’est cet étrange chois où votre queur s’engage.
La sincère Éliante a du penchant pour vous,
La prude Arsinoé vous voit d’un euil fort dous ;
Cependant à leurs veus votre âme se refuse,
Tandis qu’en ses liens Célimène l’amuse,
De qui l’umeur coquète et l’esprit médisant
Semblent si fort doner dans les meurs d’à présent.
D’où vient que, leur portant une haine mortèle,
Vous pouvez bien soufrir ce qu’en tient cète bèle ?
Ne sont-ce plus défauts dans un objet si dous ?
Ne les voyez-vous pas, ou les excusez-vous ?
Ne ferme point mes ieus aus défauts qu’on lui treuve ;
Et je suis, quelque ardeur qu’èle m’ait pu doner,
Le premier à les voir, come à les condamner.
Mais avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon faible : èle a l’art de me plaire.
J’ai beau voir ses défauts, et j’ai beau l’en blâmer,
En dépit qu’on en ait, èle se fait aimer ;
Sa grâce est la plus forte ; et sans doute ma flame
De ces vices du temps poura purger son âme.
Vous croyez être donc aimé d’èle ?
Je ne l’aimerais pas, si je ne croyais l’être.
D’où vient que vos rivaus vous causent de l’ennui ?
Et je ne viens ici qu’à dessein de lui dire
Tout ce que là-dessus ma passion m’inspire.
Sa cousine Éliante aurait tous mes soupirs :
Son queur, qui vous estime, est solide et sincère,
Et ce chois plus conforme était mieus votre afaire.
Mais la raison n’est pas ce qui règle l’amour.
Pourait…
Éliante est sortie, et Célimène aussi.
Mais, come l’on m’a dit que vous étiez ici,
J’ai monté pour vous dire, et d’un queur véritable,
Que j’ai conçu pour vous une estime incroyable,
Et que, depuis longtemps, cète estime m’a mis
Dans un ardent désir d’être de vos amis.
Oui, mon queur au mérite aime à rendre justice,
Et je brule qu’un neud d’amitié nous unisse.
Je crois qu’un ami chaud, et de ma qualité,
N’est pas assurément pour être rejeté.
Pendant le discours d’Oronte, Alceste est rêveur, et semble ne pas entendre que c’est à lui qu’on parle. Il ne sort de sa rêverie que quand Oronte lui dit :
C’est à vous, s’il vous plait, que ce discours s’adresse.
Et je n’atendais pas l’oneur que je reçoi.
Et de tout l’univers vous la pouvez prétendre.
Du mérite éclatant que l’on découvre en vous.
Et pour vous confirmer ici, mes sentiments,
Soufrez qu’à queur ouvert, monsieur, je vous embrasse,
Et qu’en votre amitié je vous demande place.
Touchez là, s’il vous plait ! Vous me la prométez,
Votre amitié ?
Mais l’amitié demande un peu plus de mistère ;
Et c’est assurément en profaner le nom
Que de vouloir le mètre à toute ocasion.
Avec lumière et chois cète union veut naitre ;
Avant que nous lier, il faut nous mieus conaitre ;
Et nous pourions avoir tèles complexions,
Que tous deus du marché nous nous repentirions.
Et je vous en estime encore davantage.
Soufrons donc que le temps forme des neuds si dous ;
Mais cependant je m’ofre entièrement à vous.
S’il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture,
On sait qu’auprès du roi je fais quelque figure ;
Il m’écoute ; et dans tout il en use, ma foi,
Le plus onêtement du monde avecque moi.
Enfin je suis à vous de toutes les manières ;
Et, come votre esprit a de grandes lumières,
Je viens, pour comencer entre nous ce beau neud,
Vous montrer un sonet que j’ai fait depuis peu,
Et savoir s’il est bon qu’au public je l’expose.
Veuillez m’en dispenser.
Si, m’exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous aliez me trahir et me déguiser rien.
Qui de quelque espérance avait flaté ma flame.
L’Espoir… Ce ne sont point de ces grands vers pompeus,
Mais de petits vers dous, tendres, et langoureus.
(À toutes ces intéruptions il regarde Alceste.)
Et si du chois des mots vous vous contenterez.
Que je n’ai demeuré qu’un quart d’eure à le faire.
L’espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps, notre ennui ;
Mais, Philis, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
Vous eûtes de la complaisance ;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mètre en dépense
Pour ne me doner que l’espoir.
S’il faut qu’une atente éternèle
Pousse à bout l’ardeur de mon zèle,
Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m’en peuvent distraire :
Bèle Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours[9].
Et sur le bel esprit nous aimons qu’on nous flate.
Mais un jour, à quelqu’un dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu’il faut qu’un galant ome ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prènent d’écrire ;
Qu’il doit tenir la bride aus grands empressements
Qu’on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s’expose à jouer de mauvais personages.
Que j’ai tort de vouloir…
Mais je lui disais, moi, qu’un froid écrit assome,
Qu’il ne faut que ce faible à décrier un ome,
Et qu’eût-on d’autre part cent bèles qualités,
On regarde les gens par leurs méchants côtés.
Je lui métais aus ieus come, dans notre temps,
Cète soif a gâté de fort onêtes gens.
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l’on peut pardoner l’essor d’un mauvais livre,
Ce n’est qu’aus maleureus qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public ces ocupations ;
Et n’alez point quiter, de quoi que l’on vous some,
Le nom que dans la cour vous avez d’onête ome,
Pour prendre, de la main d’un avide imprimeur,
Celui de ridicule et misérable auteur.
C’est ce que je tâchai de lui faire comprendre[11].
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont point naturèles.
Qu’est-ce que Nous berce un temps notre ennui
Et que, Rien ne marche après lui ?
Que, Ne vous pas mètre en dépense
Pour ne me doner que l’espoir ?
Et que, Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours ?
Ce stile figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité ;
Ce n’est que jeu de mots, qu’afectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature.
Le méchant gout du siècle en cela me fait peur ;
Nos pères, tout grossiers, l’avaient beaucoup meilleur,
Et je prise bien moins tout ce que l’on admire,
Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire.
Si le roi m’avait doné
Paris, sa grand’vile,
Et qu’il me falût quiter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris ;
J’aime mieus ma mie, ô gué
J’aime mieus ma mie.
La rime n’est pas riche, et le stile en est vieus :
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieus
Que ces colifichets dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là toute pure ?
Si le roi m’avait doné
Paris, sa grand’vile,
Et qu’il me falût quiter…
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris,
J’aime mieus ma mie, o gué !
J’aime mieus ma mie.
Voilà ce que peut dire un queur vraiment épris.
(À Philinte, qui rit.)
Oui, monsieur le rieur, malgré vos beaus esprits,
J’estime plus cela que la pompe fleurie
De tous ces faus brillants où chacun se récrie.
Mais vous trouverez bon que j’en puisse avoir d’autres
Qui se dispenseront de se soumètre aus vôtres.
Vous en composassiez sur la même matière.
Je suis votre valet, monsieur, de tout mon queur.
Et j’ai bien vu qu’Oronte, afin d’être flaté…