La sale de l’Ôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu de paume aménagé et embéli pour des représentations.
La sale est un caré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à gauche, faire angle avec la scène, qu’on aperçoit en pan coupé.
Cète scène est encombrée, des deus côtés, le long des coulisses, par des banquètes. Le rideau est formé par deus tapisseries qui peuvent s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On descend de l’estrade dans la sale par de larges marches. De chaque côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandèles.
Deus rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est divisé en loges. Pas de sièges au partère, qui est la scène même du téâtre ; au fond de ce partère, c’est-à-dire à droite, premier plan, quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte de bufet orné de petits lustres, de vases fleuris, de vères de cristal, d’assiètes de gâteaus, de flacons, etc.
Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l’entrée du téâtre. Grande porte qui s’entre-bâille pour laisser passer les spectateurs. Sur les batants de cète porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus du bufet, des afiches rouges sur lesquèles on lit : La Clorise.
Au lever du rideau, la sale est dans une demi-obscurité, vide encore. Les lustres sont baissés au milieu du partère, atendant d’être alumés.
Holà ! vos quinze sols !
J’entre gratis !
Pourquoi ?
Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
Vous ?
Je ne paye pas !
Mais…
Je suis mousquetaire.
On ne comence qu’à deus eures. Le partère
Est vide. Exerçons-nous au fleuret.
Pst… Flanquin…
Champagne ?…
Cartes. Dés.
Jouons.
Oui, mon coquin.
J’ai soustrait à mon maitre un peu de luminaire.
C’est gentil de venir avant que l’on n’éclaire !…
Touche !
Trèfle !
Un baiser !
On voit !…
Pas de danger !
Lorsqu’on vient en avance, on est bien pour manger.
Plaçons-nous là, mon fils.
Brelan d’as !
Un ivrogne
Doit boire son bourgogne…
à l’ôtel de Bourgogne !
Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?
Buveurs…
(En rompant, un des cavaliers le bouscule.)
Bréteurs !
(Il tombe au milieu des joueurs.)
Joueurs !
Un baiser !
Jour de Dieu !
– Et penser que c’est dans une sale pareille
Qu’on joua du Rotrou, mon fils !
Et du Corneille !
Tra la la la la la la la la la la lère…
Les pages, pas de farce !…
Oh ! Monsieur ! ce soupçon !…
As-tu de la ficèle ?
Avec un ameçon.
On poura de là-haut pêcher quelque péruque.
Or ça, jeunes escrocs, venez qu’on vous éduque :
Puis donc que vous volez pour la première fois…
Hep ! Avez-vous des sarbacanes ?
Et des pois !
Que va-t-on nous jouer ?
Clorise.
De qui est-ce ?
De monsieur Baltazar Baro. C’est une pièce !…
… La dentèle surtout des canons, coupez-la !
Tenez, à la première du Cid, j’étais là !
Les montres…
Vous vérez des acteurs très ilustres…
Les mouchoirs…
Montfleury…
Alumez donc les lustres !
… Bellerose, l’Epy, la Beaupré, Jodelet !
Ah ! voici la distributrice !…
Oranges, lait,
Eau de framboise, aigre de cèdre…
Place, brutes !
Les marquis !… au partère ?…
Oh ! pour quelques minutes.
Hé quoi ! Nous arivons ainsi que les drapiers,
Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ?
Ah ! fi ! fi ! fi !
Cuigy ! Brissaille !
Des fidèles !…
Mais oui, nous arivons devant que les chandèles…
Ah ! ne m’en parlez pas ! Je suis dans une umeur…
Console-toi, marquis, car voici l’alumeur !
Ah !…
Lignière !
Pas encore gris !…
Je vous présente ?
Baron de Neuvillette.
Ah !
La tête est charmante.
Peuh !…
Messieurs de Cuigy, de Brissaille…
Enchanté !…
Il est assez joli, mais n’est pas ajusté
Au dernier gout.
Monsieur débarque de Touraine.
Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine.
J’entre aus gardes demain, dans les Cadets.
Voilà
La présidente Aubry !
Oranges, lait…
La… la…
Du monde !
Eh ! oui, beaucoup.
Tout le bel air !
Mesdames
De Guéméné…
De Bois-Daufin…
Que nous aimâmes…
De Chavigny…
Qui de nos queurs va se jouant !
Tiens, monsieur de Corneille est arivé de Rouen.
L’Académie est là ?
Mais… j’en vois plus d’un membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…
Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !
Atention ! nos précieuses prènent place :
Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,
Félixérie…
Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !
Marquis, tu les sais tous ?
Je les sais tous, marquis !
Mon cher, je suis entré pour vous rendre service :
La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !
Non !… Vous qui chansonnez et la vile et la cour,
Restez : Vous me direz pour qui je meurs d’amour.
Messieurs les violons !…
(Il lève son archet.)
Macarons, citronée…
J’ai peur qu’èle ne soit coquète et rafinée,
Je n’ose lui parler car je n’ai pas d’esprit.
Le langage aujourd’ui qu’on parle et qu’on écrit,
Me trouble. Je ne suis qu’un bon soldat timide.
– Èle est toujours à droite, au fond : la loge vide.
Je pars.
Oh ! non, restez !
Je ne peus. D’Assoucy
M’atend au cabaret. On meurt de soif, ici.
Orangeade ?
Fi !
Lait ?
Pouah !
Rivesalte ?
Halte !
Je reste encore un peu. – Voyons ce rivesalte ?
Ah ! Ragueneau !…
Le grand rôtisseur Ragueneau.
Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ?
Le pâtissier des comédiens et des poètes !
Trop d’oneur…
Taisez-vous, Mécène que vous êtes !
Oui, ces messieurs chez moi se servent…
À crédit.
Poète de talent lui-même…
Ils me l’ont dit.
Fou de vers !
Il est vrai que pour une odelète…
Vous donez une tarte…
Oh ! une tartelète !
Brave ome, il s’en excuse ! Et pour un triolet
Ne donnâtes-vous pas ?…
Des petits pains !
Au lait.
– Et le téâtre ! Vous l’aimez ?
Je l’idolâtre.
Vous payez en gâteaus vos billets de téâtre !
Votre place, aujourd’ui, là, voyons, entre nous,
Vous a couté combien ?
Quatre flans. Quinze chous.
Monsieur de Cyrano n’est pas là ? Je m’étone.
Pourquoi ?
Montfleury joue !
En éfet, cète tone
Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.
Qu’importe à Cyrano ?
Mais vous ignorez donc ?
Il fit à Montfleury, messieurs, qu’il prit en haine,
Défense, pour un mois, de reparaitre en scène.
Eh bien ?
Montfleury joue !
Il n’y peut rien.
Oh ! oh !
Moi, je suis venu voir !
Quel est ce Cyrano ?
C’est un garçon versé dans les colichemardes.
Noble ?
Sufisament. Il est cadet aus gardes.
Mais son ami Le Bret peut vous dire…
(Il apèle.)
Le Bret !
Vous cherchez Bergerac ?
Oui, je suis inquiet !…
N’est-ce pas que cet ome est des moins ordinaires ?
Ah ! c’est le plus exquis des êtres sublunaires !
Rimeur !
Bréteur !
Fisicien !
Musicien !
Et quel aspect étéroclite que le sien !
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
Le solanel monsieur Philippe de Champaigne ;
Mais bizare, excessif, extravagant, falot,
Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot
Le plus fol spadassin à mètre entre ses masques :
Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
Cape que par dérière, avec pompe, l’estoc
Lève, come une queue insolente de coq,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
Fut et sera toujours l’alme Mère Gigogne,
Il promène, en sa fraise à la Pulcinella,
Un nez !… Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !…
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever… » Mais
Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.
Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !
Son glaive est la moitié des ciseaus de la Parque !
Il ne viendra pas !
Si !… Je parie un poulet
À la Ragueneau !
Soit !
Ah ! messieurs ! mais èle est
Épouvantablement ravissante !
Une pêche
Qui sourirait avec une fraise !
Et si fraiche
Qu’on pourait, l’aprochant, prendre un rume de queur !
C’est èle !
Ah ! c’est èle ?…
Oui. Dites vite. J’ai peur.
Magdeleine Robin, dite Roxane. — Fine.
Précieuse.
Hélas !
Libre. Orfeline. Cousine
De Cyrano, — dont on parlait…
Cet ome ?…
Hé ! Hé !…
— Comte de Guiche. Épris d’èle. Mais marié
À la nièce d’Armand de Richelieu. Désire
Faire épouser Roxane à certain triste sire,
Un monsieur de Valvert, vicomte… et complaisant.
Èle n’y souscrit pas, mais de Guiche est puissant :
Il peut persécuter une simple bourgeoise.
D’ailleurs j’ai dévoilé sa maneuvre sournoise
Dans une chanson qui… Ho ! il doit m’en vouloir !
— La fin était méchante… Écoutez…
Non. Bonsoir.
Vous alez ?
Chez monsieur de Valvert !
Prenez garde :
C’est lui qui vous tuera !
Restez. On vous regarde.
C’est vrai !
C’est moi qui pars. J’ai soif ! Et l’on m’atend
– Dans les tavernes !
Pas de Cyrano.
Pourtant…
Ah ! je veus espérer qu’il n’a pas vu l’afiche !
Comencez ! Comencez !
Quèle cour, ce de Guiche !
Fi !… Encore un Gascon !
Le Gascon souple et froid,
Celui qui réussit !… Saluons-le, crois-moi.
Les beaus rubans ! Quèle couleur, comte de Guiche ?
Baise-moi-ma-mignone ou bien Ventre-de-biche ?
C’est couleur Espagnol malade.
La couleur
Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
L’Espagnol ira mal, dans les Flandres !
Je monte
Sur scène. Venez-vous ?
Viens, Valvert !
Le vicomte !
Ah ! je vais lui jeter à la face mon…
Hein ?
Ay !…
Je cherchais un gant !
Vous trouvez une main.
Lâchez-moi. Je vous livre un secret.
Quel ?
Lignière…
Qui vous quite…
Eh bien ?
… touche à son eure dernière.
Une chanson qu’il fit blessa quelqu’un de grand,
Et cent omes — j’en suis — ce soir sont postés !…
Cent !
Par qui ?
Discrétion…
Oh !
Professionèle !
Où sont-ils postés ?
À la porte de Nesle.
Sur son chemin. Prévenez-le !
Mais où le voir ?
Alez courir tous les cabarets : le Pressoir
D’or, la Pome de Pin, la Ceinture qui craque,
Les Deus Torches, les Trois Entonoirs, — et dans chaque,
Laissez un petit mot d’écrit l’avertissant.
Oui, je cours ! Ah ! les gueus ! Contre un seul ome, cent !
La quiter… èle !
Et lui !… – Mais il faut que je sauve
Lignière !…
Comencez.
Ma péruque !
Il est chauve !…
Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…
Petit gredin !
HA ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Ce silence soudain ?…
Ah ?…
La chose me vient d’être certifiée.
Chut ! — Il parait ?… — Non !… – Si ! — Dans la loge grillée.
– Le Cardinal ! — Le Cardinal ? — Le Cardinal !
Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
Mouchez cète chandèle !
Une chaise !
Silence !
Montfleury entre en scène ?
Oui, c’est lui qui comence.
Cyrano n’est pas là.
J’ai perdu mon pari.
Tant mieus ! tant mieus !
Bravo, Montfleury ! Montfleury !
« Eureus qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
Et qui, lorsque Zéfire a souflé sur les bois… »
Coquin, ne t’ai-je pas interdit pour un mois ?
Hein ? — Quoi ? — Qu’est-ce ?…
C’est lui !
Cyrano !
Roi des pitres,
Hors de scène à l’instant !
Oh !
Mais…
Tu récalcitres ?
Chut ! — Assez ! — Montfleury, jouez ! — Ne craignez rien !…
« Eureus qui loin des cours dans un lieu sol… »
Eh bien ?
Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles,
Une plantation de bois sur vos épaules ?
« Eureus qui… »
Sortez !
Oh !
« Eureus qui loin des cours… »
Ah ! je vais me fâcher !…
Venez à mon secours,
Messieurs !
Mais jouez donc !
Gros ome, si tu joues
Je vais être obligé de te fesser les joues !
Assez !
Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
Ou bien je fais tâter ma cane à leurs rubans !
C’en est trop !… Montfleury…
Que Montfleury s’en aille,
Ou bien je l’essorille et le désentripaille !
Mais…
Qu’il sorte !
Pourtant…
Ce n’est pas encor fait ?
Bon ! je vais sur la scène, en guise de bufet,
Découper cète mortadèle d’Italie !
En m’insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
Si cète Muse, à qui, Monsieur, vous n’êtes rien,
Avait l’oneur de vous conaitre, croyez bien
Qu’en vous voyant si gros et bête come une urne,
Èle vous flanquerait quelque part son coturne.
Montfleury ! — Montfleury ! — La pièce de Baro ! —
Je vous en prie, ayez pitié de mon foureau :
Si vous continuez, il va rendre sa lame !
Hé ! là !…
Sortez de scène !
Oh ! oh !
Quelqu’un réclame ?
Vraiment nous tiranise,
Malgré ce tiraneau
Si j’entends une fois encore cète chanson,
Je vous assome tous.
Vous n’êtes pas Samson !
Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
C’est inouï !
C’est scandaleus !
C’est vexatoire !
Ce qu’on s’amuse !
Kss ! — Montfleury ! — Cyrano !
Silence !
Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico !
Je vous…
Miâou !
Je vous ordone de vous taire !
Et j’adresse un défi colectif au partère !
— J’inscris les noms ! — Aprochez-vous, jeunes héros !
Chacun son tour ! Je vais doner des numéros ! —
Alons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duéliste,
Je l’expédie avec les oneurs qu’on lui doit !
— Que tous ceus qui veulent mourir lèvent le doigt.
La pudeur vous défend de voir ma lame nue ?
Pas un nom ? — Pas un doigt ? — C’est bien. Je continue.
Donc, je désire voir le téâtre guéri
De cète fluxion. Sinon…
le bistouri !
Je…
Mes mains vont fraper trois claques, pleine lune !
Vous vous éclipserez à la troisième.
Ah ?…
Une !
Je…
Restez !
Restera… restera pas…
Je crois,
Messieurs…
Deus !
Je suis sûr qu’il vaudrait mieus que…
Trois !
Hu !… hu !… Lâche !… Reviens !…
Qu’il reviène, s’il l’ose !
L’orateur de la troupe !
Ah !… Voilà Bellerose !
Nobles seigneurs…
Non ! Non ! Jodelet !
Tas de veaus !
Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo !
Pas de bravos !
Le gros tragédien dont vous aimez le ventre
S’est senti…
C’est un lâche !
Il dut sortir !
Qu’il rentre !
Non !
Si !
Mais à la fin, monsieur, quèle raison
Avez-vous de haïr Montfleury ?
Jeune oison,
J’ai deus raisons, dont chaque est sufisante seule.
Primo : c’est un acteur déplorable qui gueule,
Et qui soulève avec des han ! de porteur d’eau,
Le vers qu’il faut laisser s’envoler ! — Secundo :
Est mon secret…
Mais vous nous privez sans scrupule
De la Clorise ! Je m’entête…
Vieille mule,
Les vers du vieus Baro valant moins que zéro,
J’intéromps sans remords !
Ha ! — Ho ! — Notre Baro !
Ma chère ! — Peut-on dire ?… Ah ! Dieu !…
Bèles persones,
Rayonez, fleurissez, soyez des échansonnes
De rêve, d’un sourire enchantez un trépas,
Inspirez-nous des vers… mais ne les jugez pas !
Et l’argent qu’il va faloir rendre !
Bellerose,
Vous avez dit la seule intéligente chose !
Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous :
Atrapez cète bourse au vol, et taisez-vous !
Ah !… Oh !…
À ce pris-là, monsieur, je t’autorise
À venir chaque jour empêcher la Clorise !…
Hu !… Hu !…
Dussions-nous même ensemble être hués !…
Il faut évacuer la sale !…
Évacuez !…
C’est fou !…
Le comédien Montfleury ! quel scandale !
Mais il est protégé par le duc de Candale !
Avez-vous un patron ?
Non !
Vous n’avez pas ?…
Non !
Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ?…
Non, ai-je dit deus fois. Faut-il donc que je trisse ?
Non, pas de protecteur…
Mais une protectrice !
Mais vous alez quiter la vile ?
C’est selon.
Mais le duc de Candale a le bras long !
Moins long
Que n’est le mien…
quand je lui mets cète ralonge !
Mais vous ne songez pas à prétendre…
J’y songe.
Mais…
Tournez les talons, maintenant.
Mais…
Tournez !
— Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.
Je…
Qu’a-t-il d’étonant ?
Votre Grâce se trompe…
Est-il mol et balant, monsieur, come une trompe ?…
Je n’ai pas…
Ou crochu come un bec de hibou ?
Je…
Y distingue-t-on une vérue au bout ?
Mais…
Ou si quelque mouche, à pas lents, s’y promène ?
Qu’a-t-il d’étéroclite ?
Oh !…
Est-ce un fénomène ?
Mais d’y porter les ieus j’avais su me garder !
Et pourquoi, s’il vous plait, ne pas le regarder ?
J’avais…
Il vous dégoute alors ?
Monsieur…
Malsaine
Vous semble sa couleur ?
Monsieur !
Sa forme, obscène ?
Mais du tout !…
Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
— Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?
Je le trouve petit, tout petit, minuscule !
Hein ? coment ? m’acuser d’un pareil ridicule ?
Petit, mon nez ? Holà !
Ciel !
Énorme, mon nez !
— Vil camus, sot camard, tête plate, aprenez
Que je m’enorgueillis d’un pareil apendice,
Atendu qu’un grand nez est proprement l’indice
D’un ome afable, bon, courtois, spirituel,
Libéral, courageus, tel que je suis, et tel
Qu’il vous est interdit à jamais de vous croire,
Déplorable maraud ! car la face sans gloire
Que va chercher ma main en haut de votre col,
Est aussi dénuée…
Aïe !
De fierté, d’envol,
De lirisme, de pitoresque, d’étincèle,
De somptuosité, de Nez enfin, que cèle…
Que va chercher ma bote au bas de votre dos !
Au secours ! À la garde !
Avis donc aus badauds
Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage,
Et si le plaisantin est noble, mon usage
Est de lui mètre, avant de le laisser s’enfuir,
Par devant, et plus haut, du fer, et non du cuir !
Mais à la fin il nous ennuie !
Il fanfarone !
Persone ne va donc lui répondre ?
Persone ?…
Atendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !…
Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand.
Très.
Ha !
C’est tout ?…
Mais…
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune ome !
On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en some…
En variant le ton, — par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C’est un roc !… c’est un pic !… c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! »
Curieus : « De quoi sert cète oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boite à ciseaus ? »
Gracieus : « Aimez-vous à ce point les oiseaus
Que paternèlement vous vous préocupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pates ? »
Truculent : « Çà, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-èle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entrainée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Apèle Hippocampelephantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très comode ! »
Enfatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrumer tout entier, excepté le mistral ! »
Dramatique : « C’est la Mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, quèle enseigne ! »
Lirique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueus : « Soufrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’apèle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « Voulez-vous le mètre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
Enfin parodiant Pirame en un sanglot :
« Le voilà donc ce nez qui des traits de son maitre
A détruit l’armonie ! Il en rougit, le traitre ! »
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lètres et d’esprit :
Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lètres
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces foles plaisanteries,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du comencement d’une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.
Vicomte, laissez donc !
Ces grands airs arogants !
Un hobereau qui… qui… n’a même pas de gants !
Et qui sort sans rubans, sans boufètes, sans ganses !
Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances.
Je ne m’atife pas ainsi qu’un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un afront pas très bien lavé, la conscience
Jaune encor de someil dans le coin de son euil,
Un oneur chifoné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d’indépendance et de franchise ;
Ce n’est pas une taille avantageuse, c’est
Mon âme que je cambre ainsi qu’en un corset,
Et tout couvert d’exploits qu’en rubans je m’atache,
Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Soner les vérités come des éperons.
Mais, monsieur…
Je n’ai pas de gants ?… La bèle afaire !
Il m’en restait un seul… d’une très vieille paire !
– Lequel m’était d’ailleurs encor fort importun :
Je l’ai laissé dans la figure de quelqu’un.
Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule !
Ah ?… Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule
De Bergerac.
Boufon !
Ay !…
Qu’est-ce encor qu’il dit ?
Il faut la remuer car èle s’engourdit…
– Ce que c’est que de la laisser inocupée ! —
Ay !…
Qu’avez-vous ?
J’ai des fourmis dans mon épée !
Soit !
Je vais vous doner un petit coup charmant.
Poète !…
Oui, monsieur, poète ! et tèlement,
Qu’en féraillant je vais – hop ! – à l’improvisade,
Vous composer une balade.
Une balade ?
Vous ne vous doutez pas de ce que c’est, je crois ?
Mais…
La balade, donc, se compose de trois
Couplets de huit vers…
Oh !
Et d’un envoi de quatre…
Vous…
Je vais tout ensemble en faire une et me batre,
Et vous toucher, monsieur, au dernier vers.
Non !
Non ?
« Balade du duel qu’en l’ôtel bourguignon
Monsieur de Bergerac eut avec un bélitre ! »
Qu’est-ce que c’est que ça, s’il vous plait ?
C’est le titre.
Place ! — Très amusant ! — Rangez-vous ! — Pas de bruits !
Atendez !… je choisis mes rimes… Là, j’y suis.
Je jète avec grâce mon feutre,
Je fais lentement l’abandon
Du grand manteau qui me calfeutre,
Et je tire mon espadon ;
Élégant come Céladon,
Agile come Scaramouche,
Je vous préviens, cher Mirmidon,
Qu’à la fin de l’envoi, je touche !
Vous auriez bien dû rester neutre ;
Où vais-je vous larder, dindon ?…
Dans le flanc, sous votre maheutre ?…
Au queur, sous votre bleu cordon ?…
– Les coquilles tintent, ding-don !
Ma pointe voltige : une mouche !
Décidément… c’est au bedon,
Qu’à la fin de l’envoi, je touche.
Il me manque une rime en eutre…
Vous rompez, plus blanc qu’amidon ?
C’est pour me fournir le mot pleutre !
– Tac ! je pare la pointe dont
Vous espériez me faire don, —
J’ouvre la ligne, – je la bouche…
Tiens bien ta broche, Laridon !
À la fin de l’envoi, je touche.
Prince, demande à Dieu pardon !
Je quarte du pied, j’escarmouche,
Je coupe, je feinte…
Hé ! là, donc !
À la fin de l’envoi, je touche.
Ah !…
Superbe !
Joli !
Faramineus !
Nouveau !…
Insensé !
… Compliments… félicite… bravo…
C’est un héros !…
Monsieur, voulez-vous me permètre ?…
C’est tout à fait très bien, et je crois m’y conaitre ;
J’ai du reste exprimé ma joie en trépignant !…
Coment s’apèle donc ce monsieur ?
D’Artagnan.
Çà, causons !…
Laisse un peu sortir cète cohue…
Je peus rester ?
Mais oui !…
C’est Montfleury qu’on hue !
Sic transit !…
Balayez. Fermez. N’éteignez pas.
Nous alons revenir après notre repas.
Répéter pour demain une nouvèle farce.
Vous ne dinez donc pas ?
Moi ?… Non.
Parce que ?
Parce…
Que je n’ai pas d’argent !…
Coment ! le sac d’écus ?…
Pension paternèle, en un jour, tu vécus !
Pour vivre tout un mois, alors ?…
Rien ne me reste.
Jeter ce sac, quèle sotise !
Mais quel geste !…
Hum !…
Monsieur… Vous savoir jeuner… le queur me fend…
J’ai là tout ce qu’il faut…
Prenez !
Ma chère enfant,
Encor que mon orgueil de Gascon m’interdise
D’accepter de vos doigts la moindre friandise,
J’ai trop peur qu’un refus ne vous soit un chagrin,
Et j’accepterais donc…
Oh ! peu de chose ! — Un grain
De ce raisin…
Un seul !… Ce vère d’eau…
Limpide !
— Et la moitié d’un macaron !
Mais c’est stupide !
Oh ! quelque chose encor !
Oui. La main à baiser.
Merci, monsieur.
Bonsoir.
Je t’écoute causer.
Diner ! ...
Boisson ! ...
Dessert ! ...
Là, je me mets à table !
— Ah ! ... j’avais une faim, mon cher, épouvantable !
— Tu disais ?
Que ces fats aus grands airs béliqueus
Te fausseront l’esprit si tu n’écoutes qu’eus ! ...
Va consulter des gens de bon sens, et t’informe
De l’éfet qu’a produit ton algarade.
Énorme.
Le Cardinal...
Il était là, le Cardinal ?
A dû trouver cela...
Mais très original.
Pourtant...
C’est un auteur. Il ne peut lui déplaire
Que l’on viène troubler la pièce d’un confrère.
Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d’ènemis !
Combien puis-je, à peu près, ce soir, m’en être mis ?
Quarante-huit. Sans compter les femmes.
Voyons, compte !
Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte,
Baro, l’Académie...
Assez ! tu me ravis !
Mais où te mènera la façon dont tu vis ?
Quel sistème est le tien ?
J’érais dans un méandre ;
J’avais trop de partis, trop compliqués, à prendre ;
J’ai pris...
Lequel ?
Mais le plus simple, de beaucoup.
J’ai décidé d’être admirable, en tout, pour tout !
Soit ! — Mais enfin, à moi, le motif de ta haine
Pour Montfleury, le vrai, dis-le moi !
Ce Silène,
Si ventru que son doigt n’ateint pas son nombril,
Pour les femmes encor se croit un dous péril,
Et leur fait, cependant qu’en jouant il bredouille,
Des ieus de carpe avec ses gros ieus de grenouille ! ...
Et je le hais depuis qu’il se permit, un soir,
De poser son regard, sur cèle... Oh ! j’ai cru voir
Glisser sur une fleur une longue limace !
Hein ? Coment ? Serait-il possible ? ...
Que j’aimasse ? ...
J’aime.
Et peut-on savoir ? Tu ne m’as jamais dit ? ...
Qui j’aime ? ... Réfléchis, voyons. Il m’interdit
Le rêve d’être aimé même par une laide,
Ce nez qui d’un quart d’eure en tous lieus me précède ;
Alors moi, j’aime qui ? ... Mais cela va de soi !
J’aime — mais c’est forcé ! — la plus bèle qui soit !
La plus bèle ? ...
Tout simplement, qui soit au monde !
La plus brillante, la plus fine,
La plus blonde !
Eh, mon Dieu, quèle est donc cète femme ? ...
Un danger
Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer.
Un piège de nature, une rose muscade
Dans laquèle l’amour se tient en embuscade !
Qui conait son sourire a conu le parfait.
Èle fait de la grâce avec rien, èle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
Come èle monte en chaise et marche dans Paris !…
Sapristi ! Je comprends. C’est clair !
C’est diafane.
Magdeleine Robin, ta cousine ?
Oui, — Roxane.
Eh bien ! mais c’est au mieus ! Tu l’aimes ? Dis-le-lui !
Tu t’es couvert de gloire à ses ieus aujourd’ui !
Regarde-moi, mon cher, et dis quèle espérance
Pourait bien me laisser cète protubérance !
Oh ! je ne me fais pas d’ilusion ! — Parbleu,
Oui, quelquefois, je m’atendris, dans le soir bleu ;
J’entre en quelque jardin où l’eure se parfume ;
Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L’avril, — je suis des ieus, sous un rayon d’argent,
Au bras d’un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune,
Aussi moi j’aimerais au bras en avoir une,
Je m’exalte, j’oublie… et j’aperçois soudain
L’ombre de mon profil sur le mur du jardin !
Mon ami !…
Mon ami, j’ai de mauvaises eures !
De me sentir si laid, parfois, tout seul…
Tu pleures ?
Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid,
Si le long de ce nez une larme coulait !
Je ne laisserai pas, tant que j’en serai maitre,
La divine beauté des larmes se comètre
Avec tant de laideur grossière !… Vois-tu bien,
Les larmes, il n’est rien de plus sublime, rien,
Et je ne voudrais pas qu’excitant la risée,
Une seule, par moi, fût ridiculisée !…
Va, ne t’atriste pas ! L’amour n’est que hasard !
Non ! J’aime Cléopâtre : ai-je l’air d’un César ?
J’adore Bérénice : ai-je l’aspect d’un Tite ?
Mais ton courage ! ton esprit ! — Cète petite
Qui t’ofrait là, tantôt, ce modeste repas,
Ses ieus, tu l’as bien vu, ne te détestaient pas !
C’est vrai !
Hé, bien ! alors ?… Mais, Roxane, èle-même,
Toute blême a suivi ton duel !…
Toute blême ?
Son queur et son esprit déjà sont étonés !
Ose, et lui parle, afin…
Qu’èle me rie au nez ?
Non ! — C’est la seule chose au monde que je craigne !
Monsieur, on vous demande…
Ah ! mon Dieu ! Sa duègne !
De son vaillant cousin on désire savoir
Où l’on peut, en secret, le voir.
Me voir ?
Vous voir.
— On a des choses à vous dire.
Des ?…
Des choses !
Ah ! mon Dieu !
L’on ira, demain, aus primes roses
D’aurore, — ouïr la messe à Saint-Roch.
Ah ! mon Dieu !
En sortant, — où peut-on entrer, causer un peu ?
Où ?… Je… mais… Ah ! mon Dieu !…
Dites vite.
Je cherche !…
Où ?…
Chez… chez… Ragueneau… le pâtissier…
Il perche ?
Dans la rue — ah ! mon Dieu, mon Dieu ! – Saint-Onoré !…
On ira. Soyez-y. Sept eures.
J’y serai.
CYRANO, LE BRET, puis LES COMÉDIENS, LES COMÈDIENNES, CUIGY, BRISSAILLE, LIGNIÈRE, LE PORTIER, LES VIOLONS.
Moi !… D’èle !… Un rendez-vous !…
Eh bien ! tu n’es plus triste ?
Ah ! pour quoi que ce soit, èle sait que j’existe !
Maintenant, tu vas être calme ?
Maintenant…
Mais je vais être frénétique et fulminant !
Il me faut une armée entière à déconfire !
J’ai dix queurs ; j’ai vingt bras ; il ne peut me sufire
De pourfendre des nains…
Il me faut des géants !
Hé ! pst ! là-bas ! Silence ! on répète céans !
Nous partons !
Cyrano !
Qu’est-ce ?
Une énorme grive
Qu’on t’aporte !
Lignière !… hé, qu’est-ce qui t’arive ?
Il te cherche !
Il ne peut rentrer chez lui !
Pourquoi ?
Ce billet m’avertit… cent omes contre moi…
À cause de… chanson… grand danger me menace…
Porte de Nesle… Il faut, pour rentrer, que j’y passe…
Permets-moi donc d’aler coucher sous… sous ton toit !
Cent omes, m’as-tu dis ? Tu coucheras chez toi !
Mais…
Prends cète lanterne !…
Et marche ! — Je te jure
Que c’est moi qui ferai ce soir ta couverture !…
Vous, suivez à distance, et vous serez témoins !
Mais cent omes !…
Ce soir, il ne m’en faut pas moins !
Mais pourquoi protéger…
Voilà Le Bret qui grogne !
Cet ivrogne banal ?…
Parce que cet ivrogne,
Ce toneau de muscat, ce fût de rossoli,
Fit quelque chose un jour de tout à fait joli ;
Au sortir d’une messe ayant, selon le rite,
Vu cèle qu’il aimait prendre de l’eau bénite,
Lui que l’eau fait sauver, courut au bénitier,
Se pencha sur sa conque et le but tout entier !…
Tiens, c’est gentil, cela !
N’est-ce pas, la soubrète ?
Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ?
Marchons.
Et vous, messieurs, en me voyant charger,
Ne me secondez pas, quel que soit le danger !
Oh ! mais moi je vais voir !
Venez !…
Viens-tu Cassandre ?…
Venez tous, le Docteur, Isabèle, Léandre,
Tous ! Car vous alez joindre, essaim charmant et fol,
La farce italiène à ce drame espagnol,
Et sur son ronflement tintant un bruit fantasque,
L’entourer de grelots come un tambour de basque !…
Bravo ! — Vite, une mante ! — Un capuchon !
Alons !
Vous nous jouerez un air, messieurs les violons !
Bravo ! des oficiers, des femmes en costume,
Et vingt pas en avant…
Moi, tout seul, sous la plume
Que la gloire èle-même à ce feutre piqua,
Fier come un Scipion triplement Nasica !…
— C’est compris ? Défendu de me prêter main-forte ! —
On y est ?… Un, deus, trois ! Portier, ouvre la porte !
Ah !… Paris fuit, nocturne et quasi nébuleus ;
Le clair de lune coule aus pentes des toits bleus ;
Un cadre se prépare, exquis, pour cète scène ;
Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine,
Come un mistérieus et magique miroir,
Tremble… Et vous alez voir ce que vous alez voir !
À la porte de Nesle !
À la porte de Nesle !
Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoisèle,
Contre ce seul rimeur cent omes furent mis ?
C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis !